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L鈥檃pparente multiplication d鈥檃chats fonciers en Afrique par des entreprises et des gouvernements 茅trangers destin茅s 脿 des cultures vivri猫res, commerciales ou tourn茅es vers l鈥檈xportation, provoque des inqui茅tudes sur le continent et au-del脿. Le ph茅nom猫ne a fait les gros titres de la presse: 鈥淟e deuxi猫me partage de l鈥橝frique鈥�, 鈥淟a qu锚te de s茅curit茅 alimentaire engendre de nouvelles formes de colonialisme鈥�, 鈥淪茅curit茅 alimentaire ou esclavage 茅conomique ?鈥�.

Cette indignation s鈥檈xplique par les s茅quelles toujours pr茅sentes de l鈥檋istoire du continent o霉, jusqu鈥檃u si猫cle dernier les puissances coloniales et les colons s鈥檈mparaient arbitrairement des terres africaines chassant les autochtones. 鈥淐鈥檈st une tendance inqui茅tante鈥�, fait remarquer Akinwumi Adesina, ancien vice-pr茅sident du groupe de d茅fense Alliance pour une r茅volution verte en Afrique (AGRA). Ces acquisitions 茅trang猫res, selon lui, pourraient entraver les efforts nationaux pour augmenter la production alimentaire et limiter la croissance 茅conomique globale. Nombre de ces transactions ne s鈥檌nscrivent dans aucune strat茅gie, manquent de transparence ou ne sont pas r茅glement茅es; elles n鈥檕ffrent aucune protection pour l鈥檈nvironnement et n鈥檃ssurent pas les petits exploitants contre la perte de leurs droits coutumiers d鈥檜tilisation des terres, ajoute M. Adesina, l鈥檃ctuel ministre de l鈥檃griculture au Nig茅ria.

L鈥檌mportance des surfaces, ainsi acquises, a attis茅 les inqui茅tudes. Le projet d鈥檃ffermer 1,3 millions d鈥檋ectares 脿 la soci茅t茅 sud-cor茅enne Daewoo fut un facteur d茅terminant dans la mobilisation menant 脿 l鈥櫭﹙iction du Pr茅sident malgache Marc Ravalomanana en mars 2009. Au Kenya, le gouvernement a tent茅 de surmonter l鈥檕pposition locale 脿 la proposition de donner au Qatar ainsi qu鈥櫭� d鈥檃utres pays le droit d鈥檈xploiter quelque 40 000 hectares de terres dans la vall茅e de la rivi猫re Tana en 茅change de la construction d鈥檜n port en eau profonde.

La r茅action d鈥檜n certain nombre d鈥檕rganisations internationales fut rapide. L鈥橭rganisation des Nations Unies pour l鈥檃limentation et l鈥檃griculture (FAO) et la Banque mondiale ont entrepris des 茅tudes sur cette 鈥渞u茅e vers la terre鈥�. Lors du Sommet du Groupe des huit pays les plus industrialis茅s (G8) en 2009 en Italie, le Japon avait appel茅 脿 la cr茅ation d鈥檜n code de conduite qui encadrerait de tels proc茅d茅s.

Tout code de conduite sera difficile 脿 n茅gocier et il sera encore plus difficile pour les pays industrialis茅s de l鈥檃ppliquer 脿 des transactions conclues principalement entre pays du Sud, a expliqu茅 Oliver De Schutter, rapporteur sp茅cial de l鈥橭NUsur le droit 脿 l鈥檃limentation, 脿 Afrique Renouveau.

Dans un rapport intitul茅 Acquisitions et locations de terres 脿 grande 茅chelle, M. De Schutter indique que si de tels investissements apportent certaines perspectives de d茅veloppement, ils repr茅sentent aussi une menace pour la s茅curit茅 alimentaire et pour les droits fondamentaux de l鈥檋omme. 鈥淟es enjeux sont 茅normes鈥�, confie-t-il 脿 Afrique Renouveau. Malheureusement, 鈥渓es contrats conclus jusqu鈥櫭� maintenant ne pr茅sentent que des obligations tr猫s faibles pour les investisseurs.鈥� Il a 茅galement not茅 que des accords concernant des milliers d鈥檋ectares de terres arables ne font parfois pas plus que trois ou quatre pages.

Toutefois, pour les pays africains qui signent de tels contrats, les b茅n茅fices potentiels sont s茅duisants. En Afrique, l鈥檃griculture b茅n茅ficie de peu d鈥檌nvestissements importants ou d鈥檃ide ext茅rieure 鈥� et la crise 茅conomique a encore diminu茅 les sources de financement externes. Louer des terres inutilis茅es 脿 des entreprises et des gouvernements 茅trangers qui veulent y r茅aliser des cultures 脿 grande 茅chelle peut 锚tre un moyen de d茅velopper un secteur sous-d茅velopp茅 et de cr茅er de nouveaux emplois.

Une 茅tude de l鈥橧nstitut international pour l鈥檈nvironnement et le d茅veloppement (IIED), groupe de recherche bas茅 au Royaume-Uni, estime que pr猫s de 2,5 millions d鈥檋ectares de terres arables en Afrique ont 茅t茅 c茅d茅es 脿 des entit茅s 茅trang猫res entre 2004 et 2009, rien que dans les cinq pays qu鈥檈lle a 茅tudi茅s en d茅tail. La taille des terrains concern茅s est sans pr茅c茅dent, indique le rapport de l鈥橧IED, 鈥楢ccaparement des terres ou opportunit茅 de d茅veloppement.

Diff茅rents facteurs ont d茅clench茅 cet int茅r锚t pour les terres africaines . C么t茅 investisseurs, il s鈥檃git notamment d鈥檜ne volont茅 de garantir la s茅curit茅 alimentaire et, dans une moindre mesure, de r茅pondre 脿 une demande croissante en biocarburants. Ces motivations s鈥檈xpliquent par l鈥檃nticipation d鈥檜ne augmentation du prix des terres et de l鈥檈au au moment o霉 la demande mondiale en productions vivri猫res augmente.
De nombreuses transactions entre 脡tats sont destin茅es 脿 r茅pondre aux besoins alimentaires, en particulier dans les 脡tats du Golfe et en Cor茅e du Sud. Des entreprises indiennes, soutenues en partie par leur gouvernement, ont investi des millions de dollars en Ethiopie pour satisfaire la demande croissante en besoins alimentaires pour leur population et leur b茅tail. Des soci茅t茅s priv茅es, surtout europ茅ennes et chinoises dominent la culture du jatropha, du sorgho et autres biocarburants 脿 Madagascar, au Mozambique et en Tanzanie.

L鈥橝frique est particuli猫rement cibl茅e par cette explosion d鈥檌nvestissements parce qu鈥檈lle a la r茅putation d鈥檕ffrir beaucoup de terrains et une main-d鈥櫯搖vre bon march茅, ainsi qu鈥檜n climat propice aux cultures, souligne M. De Schutter. Au Mozambique, en Tanzanie et en Zambie, seuls 12% des terres arables sont cultiv茅es.

L鈥橝frique n鈥檃 pu attirer jusqu鈥櫭� pr茅sent que des investissements limit茅s pour mettre en culture ses terres arables. En d茅pit des appels r茅p茅t茅s pour davantage d鈥檌nvestissements publics, l鈥檃griculture est en retard sur d鈥檃utres secteurs. L鈥橴nion africaine a exhort茅 les gouvernements 脿 consacrer 10% de leurs d茅penses 脿 l鈥檃griculture, mais peu d鈥檈ntre eux ont atteint cet objectif. Les institutions et les pays donateurs n鈥檕nt pas non plus jou茅 leur r么le, la part de l鈥檃ide au d茅veloppement allou茅e 脿 l鈥檃griculture ayant tendance 脿 baisser. Face 脿 une abondance de terres mais pas d鈥檃rgent, ce qu鈥檕ffrent les investisseurs 茅trangers 脿 savoirle d茅veloppement des terres agricoles, para卯t tr猫s tentant. Mais la majorit茅 des terres ne sont pas aussi inexploit茅es qu鈥檈lles le paraissent et les r茅els b茅n茅fices sur investissements dans ce secteur sont bien moins 茅lev茅s qu鈥檌nitialement pr茅vu par les 茅tudes pr茅liminaires.

鈥淟es gouvernements sont assis sur une caisse de dynamite鈥�, d茅clairait a la presse, Namanga Ngongi, ancien pr茅sident de l鈥橝GRA cr茅茅e par l鈥檃ncien Secr茅taire g茅n茅ral Kofi Annan.

Vers une approche strat茅gique

Les r茅centes 茅tudes men茅es par l鈥橧IED, la FAO, la Banque mondiale et l鈥橧nstitut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI), bas茅 脿 Washington, confirment les failles et dangers potentiels de ce processus. Ainsi, les efforts nationaux pour accro卯tre la production alimentaire risquent d鈥櫭猼re compromis , les projets agricoles destin茅s exclusivement aux march茅s externes risquent de ne stimuler que tr猫s peu les activit茅s 茅conomiques des pays concern茅s et les agriculteurs locaux pourraient perdre leurs droits fonciers.

La plupart de ces 茅tudes 茅voquent aussi les avantages potentiels pour un secteur 脿 court d鈥檃rgent : cr茅ation d鈥檈mplois, introduction de nouvelles technologies, am茅lioration de la qualit茅 des productions agricoles et opportunit茅 pour d茅velopper des activit茅s de transformation des produits de base agricoles, 脿 haute valeur ajout茅e. Peut-锚tre m锚me la perspective 鈥渄鈥檜ne augmentation de la production alimentaire pour le march茅 national et l鈥檈xportation鈥�, estime la FAO.

Une 茅tude de l鈥橧FPRI intitul茅e 鈥淎ccaparement des terres鈥� par les investisseurs 茅trangers dans les pays en d茅veloppement : risques et opportunit茅s conclut qu鈥檃fin de profiter de ce nouveau ph茅nom猫ne, les gouvernements doivent 锚tre capables de n茅gocier des contrats satisfaisants et d鈥檈n l鈥檃pplication. Ceci contribuera 脿 cr茅er 鈥渦n sc茅nario gagnant-gagnant pour les communaut茅s locales et pour les investisseurs 茅trangers鈥�. Les 茅tudes recommandent aux gouvernements africains d鈥檃dopter une approche strat茅gique.

Dans son rapport, M. De Schutter formule un certain nombre de recommandations concernant ces transactions fonci猫res, comme la libre et enti猫re participation des communaut茅s locales concern茅es ainsi que leur accord, au niveau pr茅liminaire 鈥� pas seulement celui de leurs dirigeants - la protection de l鈥檈nvironnement bas茅e sur une 茅valuation approfondie prouvant la validit茅 environementale, la pleine transparence du projet, suivies d鈥檕bligations claires et applicables pour les investisseurs, accompagn茅es de sanctions appropri茅es et d鈥檜ne l茅gislation adapt茅e aux n茅cessit茅s, ainsi que des mesures pour prot茅ger les droits de l鈥檋omme, les droits des travailleurs, les droits fonciers et le droit 脿 l鈥檃limentation et au d茅veloppement. Des contrats de ce type seraient dans l鈥檌nt茅r锚t 脿 long terme des investisseurs aussi bien que les communaut茅s locales, note l鈥橧FPRI, soulignant que les d茅saccords sur la propri茅t茅 peuvent mener 脿 des affrontements violents et que les gouvernements sont alors contraints de modifier ou de r茅silier les contrats sign茅s.

Droits fonciers

La propri茅t茅 fonci猫re est une question cruciale. En Afrique, seule une partie relativement r茅duite des terres est assortie d鈥檜n titre de propri茅t茅 individuel. Nombre de terres appartiennent 脿 la communaut茅 ou, dans certains pays, 脿 l鈥櫭﹖at. M锚me les terres officiellement class茅es comme non-utilis茅es ou sous-utilis茅es peuvent tomber sous le joug de syst猫mes complexes d鈥檜sages 鈥渃outumiers鈥�. 芦Il faut de toute urgence 茅tablir de meilleurs moyens pour reconnaitre les droits foncicer禄, juge la FAO dans un r茅cent document d鈥檕rientation intitul茅 De l鈥檃ccaparement des terres 脿 la strat茅gie du gagnant-gagnant.

La Banque mondiale, indique qu鈥� il est important que les organismes internationaux aident les gouvernements africains 脿 茅laborer des cadastres. Quant 脿 l鈥櫭﹖ude de l鈥橧IED, elle souligne que ces cadastres doivent permettre un enregistrement 脿 titre collectif des terres communautaires afin de prot茅ger les droits fonciers 鈥渃outumiers鈥�. M. De Schutter d茅fend l鈥檌d茅e que les instruments de d茅fense des droits de l鈥檋omme 茅tablis au niveau international peuvent servir 脿 prot茅ger de tels droits, notamment ceux des 茅leveurs et des indig猫nes peuplant les for锚ts.

L鈥櫭﹖ude de l鈥橧IED affirme que la majeure partie des acquisitions r茅centes de terres 脿 grande 茅chelle en Afrique passent par l鈥檃ffermage des terres 脿 des entit茅s 茅trang猫res souhaitant les faire exploiter par des ouvriers agricoles. Elle recommande aux gouvernements d鈥檌nclure dans les contrats des clauses garantissant l鈥檈mploi d鈥檜ne main-d鈥櫯搖vre locale. 鈥淟es contrats d鈥檃ffermage ou de vente de terres de grande taille ne doivent en aucun cas 锚tre autoris茅s 脿 se substituer aux obligations des 茅tats concern茅s en mati猫re de droits de l鈥檋omme鈥�, soutient M. De Schutter.

Des mod猫les pour ce type de contrat id茅al, soutenus par une l茅gislation nationale ad茅quate et des principes d鈥檃pplication, ont 茅t茅 propos茅s. Mais, comme le fait remarquer l鈥櫭﹖ude de l鈥橧IED, 茅tablir des clauses contractuelles et les faire respecter sont deux choses qui ne vont pas de pair. L鈥櫭ヽart entre la l茅gislation th茅orique et la r茅alit茅 du terrain peut avoir des cons茅quences graves pour les communaut茅s locales.

Un code de conduite pour les gouvernements h么tes et les investisseurs 茅trangers pourrait contribuer 脿 garantir que les op茅rations fonci猫res b茅n茅ficient aux investisseurs comme aux communaut茅s locales, sugg猫re l鈥橧FPRI, citant l鈥橧nitiative pour la transparence dans les industries extractives (qui soumet les 茅tats et les entreprises impliqu茅s 脿 certaines normes pour les activit茅s mini猫res et p茅troli猫res) comme exemple applicables aux transactions fonci猫res 脿 grande 茅chelle.

M. De Schutter doute qu鈥檌l soit possible de n茅gocier ou de faire appliquer un tel code. Il rappelle plut么t l鈥檈xistence d鈥檜n code international des droits de l鈥檋omme auquel peuvent 锚tre soumises les transactions fonci猫res sur de grandes surfaces et qui peut 锚tre utilis茅 pour contraindre les gouvernements 脿 remplir leurs obligations envers les citoyens. Les sp茅cialistes s鈥檃ccordent sur le fait que les gouvernements africains doivent avoir la volont茅 et la capacit茅 de faire respecter la loi. 鈥淚l est indispensable de renforcer la capacit茅 de n茅gociation鈥�, insiste M. De Schutter. Et cette capacit茅 ne peut 锚tre seulement celle des gouvernements, ajoute-t-il. Les communaut茅s locales doivent avoir davantage de pouvoirs et les parlements nationaux doivent 锚tre impliqu茅s. Une 茅volution qui, comme beaucoup le craignent, pourrait s鈥檃v茅rer difficile .鈥偺�听