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La subsistance au risque de la surpêche

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La subsistance au risque de la surpêche

Les eaux d’Afrique attirent les activités de pêche étrangères illégales et non réglementées
Kingsley Ighobor
Afrique Renouveau: 
Fishermen in Inhaca Island, Mozambique.
Photo: AMO/Paul Weinberg
Pêcheurs de l’île d’Ahanca en Mozambique. Photo: AMO/Paul Weinberg

Par une nuit de décembre 2016, cinq pêcheurs du village de Tombo, près de Freetown, en Sierra Leone, ont embarqué vers le large sur un hors-bord. Ils ont jeté leur filet et embarqué une bonne quantité de poisson. Mais à la suite d’une terrible tempête l’un d’entre eux, un jeune de 18 ans nommé Alimamy, a disparu. Comme à son habitude, Alimamy s’était mis sur le bord du canot pour décharger la cargaison. Il s’est noyé, emporté par les eaux.

« Ce fut un jour triste », a déclaré Samuel Bangura, maître du port local, dont le travail comprend le sauvetage des pêcheurs disparus en mer, et qui avait envoyé une équipe de secours.

Ces tragédies sont fréquentes sur les côtes africaines, mais les quantités de poissons diminuent avec la surpêche, ce qui force les bateaux à s’éloigner. « Il n’y a plus de poissons à proximité », déplore M. Bangura.

Il y a surpêche lorsque les quantités de poissons pêchées sont supérieures au taux de reproduction naturelle de l’espèce. Elle est due à la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN) ou au piratage.

Quelque 37 espèces ont été classées en voie d’extinction et 14 autres seraient « presque menacées » de l’Angola à la Mauritanie, selon l’Union internationale pour la conservation de la Nature (UICN).

M. Bangura reproche aux chalutiers étrangers de pêcher toutes les espèces de poissons. « Nous sommes en concurrence avec les gros chalutiers », a-t-il déclaré. « Ils récupèrent tout le poisson et détruisent nos filets ».

Les grands chalutiers, principalement asiatiques et européens, disposent de filets plus solides et de meilleure qualité. Ils peuvent résister aux eaux troubles et transportent mécaniquement les poissons pour les déposer dans des entrepôts pré-aménagés.

Chalutage illégal

En Somalie et en Tanzanie, ils« déploient de grands filets non sélectifs, raflent des cargaisons entières de thons, y compris les petits, qu’ils rejettent lorsqu’ils sont morts », rapporte IUUWatch, une organisation rattachée à l’Union Européenne dont le site web est financé par The Environmental Justice Foundation (EJF), Oceana, The Pew Charitable Trusts (Pew) et le Fonds mondial pour la pêche de la nature (INN).

Certains chalutiers sont autorisés, d’autres opèrent illégalement. Ceux qui détiennent une licence paient des impôts, même si l’activité de pêche complique le calcul de l’assiette. De nombreux États n’ont pas la capacité de surveiller les opérations des flottes, ce qui réduit les efforts visant à recenser les revenus et fixer des taux d’imposition justes.

M. Bangura a exprimé son indignation face aux navires non autorisés qui opèrent en toute impunité dans les eaux sierra-léonaises. Les États ont pourtant besoin de revenus pour investir dans l’agriculture, les services sociaux et d’autres secteurs et les revenus de la pêche sont faibles par rapport aux tonnes de poissons pêchés.

« Les revenus générés ne rentrent pas dans les caisses de l’État », remarque Dyhia Belhabib, chercheuse à l’Université de la Colombie-Britannique, au Canada.

« Les bateaux en provenance de Chine et d’Europe ont effectué des pêches d’une valeur de 8,3 milliards de dollars de 2000 à 2010 dans la région [d’Afrique de l’Ouest]. Seulement 0,5 milliard de dollars ont été reversés dans les économies locales. »

Une quantité supplémentaire de poissons d’une valeur de 2 milliards de dollars est « soit soustraite sans le consentement préalable des gouvernements locaux, soit jamais déclarée en raison d’une pêche INN», déclare Mme Belhabib.

En juillet dernier, un chalutier espagnol « Gotland » a été confisqué pour pêche illégale dans les eaux sénégalaises. Le navire, enregistré en Mauritanie avec un équipage russe, s’est enfui dans les eaux de la zone économique exclusive de la Mauritanie après avoir été repéré par les forces de sécurité sénégalaises.

En octobre 2016, les autorités somaliennes ont observé un navire de pêche enregistré par le Panama nommé GREKO 1, signalé au Belize, qui cherchait à accéder au port à Mombasa. Le navire s’est échappé au Kenya où il a été arrêté en vertu du protocole FISH-i, un programme pour l’application de la loi élaboré par les Comores, les Seychelles, la Somalie, le Kenya, Madagascar, l’Ile Maurice, le Mozambique et la Tanzanie afin de lutter contre la pêche INN grâce au partage d’informations.

Les autorités somaliennes ont procédé à un règlement à l’amiable et une amende de 65.000 dollars a été payée.

En 2015, deux des six navires de pêche (baptisés « Bandit 6 ») figurant sur les listes d’Interpol ont été arrêtés au large du port de Mindelo, au Cap-Vert, alors qu’ils pêchaient illégalement la légine - un type de morue vendu en Amérique du Nord. Leur arrestation faisait suite à une campagne menée par le groupe de conservation des océans Sea Shepherd.

Surpêche

Les eaux d’Afrique de l’Ouest attirent les activités de pêche étrangères parce qu’elles « comptent parmi les plus poissonneuses du monde », note Greenpeace, tandis que les ressources diminuent rapidement. Parmi les poissons en voie de disparition figurent les osteichthyes, ou poissons osseux, qui comptent 1 288 espèces, présentes en majorité dans les eaux de la côte ouest-africaine La sardine de Madère est surpêchée en Afrique occidentale et centrale, selon l’UICN qui a déclaré en janvier que, « le poisson Maigre en voie de disparition a diminué de 30% à 60% au cours des 10 dernières années »

L’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture estime en outre que 57% des poissons sont exploités tandis que 30% sont surexploités ou épuisés.

Dès 2013, le journal Fish and Fisheries a rapporté que la pieuvre et le mérou étaient difficiles à trouver dans les eaux mauritaniennes qui avaient été surexploitées par les grands chalutiers.

Subsistance détruite

Le Directeur Général de l’UICN, Inger Andersen, insiste sur le fait que les moyens de subsistance des communautés côtières pourraient être préservés par la bonne gestion des espèces.

« Le poisson constitue une source importante de protéines animales pour les communautés côtières, ce qui représente environ 40% de la population de cette région », a déclaré M. Andersen, tout en ajoutant que la situation actuelle porte atteinte à l’Objectif de Développement Durable 14, qui traite de la vie sous-marine.

La pêche illégale coûte des milliards à l’Afrique, corrobore Kofi Annan, ancien Secrétaire général de l’ONU et responsable du African Progress Panel, un groupe de dix personnes qui défend le développement durable. La pêche illégale coûte 300 millions de dollars par an à la Somalie.

Les communautés souffrent en conséquence de malnutrition, notamment les enfants. Les revenus des femmes qui traitent le poisson sont en baisse. En Afrique de l’Ouest, les temps sont rudes pour près de sept millions de personnes qui vivent de la pêche.

Des efforts en cours

Pour lutter contre la surpêche, Greenpeace recommande aux pays de créer des organisations régionales de pêche, de réduire le nombre de chalutiers enregistrés, d’accroître la surveillance et de veiller à ce que les activités de traitement de poisson soient gérées par les Africains.

Le Programme régional des pêches de l’Afrique de l’Ouest de la Banque mondiale (WARFP), a habilité les pays participants (le Liberia, la Sierra Leone, le Cap-Vert et le Sénégal ) à disposer de systèmes d’information, de formation et de suivi.

Dans le cadre du WARFP, les pêcheurs suivent une formation pour photographier les chalutiers illégaux avec des caméras GPS. Jusqu’en 2016, le Liberia avait perçu 6,4 millions de dollars en amendes de pêche INN, mais le pourcentage de navires étrangers en infraction est depuis passé de 85% à 30%.

Le Liberia a également promulgué une loi sur la réglementation des pêches en 2010 et installé un système de surveillance par satellite qui a permis d’arrêter plus de 14 navires. En 2015, le Sénégal a promulgué un code de la pêche. Les quelques 12 communautés de pêcheurs participantes signalent une augmentation des rendements de 133%.

Les pêcheurs des communautés de Palmiera et Santa Maria au Cap-Vert se sont organisés pour protéger les zones de pêche. En Afrique australe, le Mozambique a créé une zone de conservation du littoral.

En 2009, la FAO a élaboré un Accord sur les mesures du ressort de l’État du port (PSMA) pour arrêter la pêche pirate. Mais ce n’est qu’en 2016, après que les États-Unis ont signé, que le traité est entré en vigueur. L’accord simplifie les mesures le contrôle de la pêche, en désignant notamment les ports qui doivent accueillir les navires étrangers.

Selon les experts, les efforts déployés par les groupes de défense et de conservation des ressources océaniques, les cadres politiques, le renforcement des capacités des pays côtiers par l’ONU et la Banque mondiale ainsi que la sensibilisation des citoyens aux conséquences de la pêche INN pourraient ralentir, sinon inverser la tendance de la surpêche.