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Une nouvelle campagne mondiale antisida

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Une nouvelle campagne mondiale antisida

Vers la prévention, les soins et le traitement pour tous d’ici à 2010
Afrique Renouveau: 
Reuters / Mike Hutchings

Lorsque Jeanette a été déclarée séropositive à la suite d’un test de dépistage du VIH au Centre de santé Kicukiro de Kigali (Rwanda), lors d’un examen prénatal il y a deux ans, “Je n’ai ni pleuré ni crié”, a-t-elle déclaré à Alexia Lewnes, chercheur au Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF). “Mais j’avais peur. J’ai pensé que j’allais mourir.” Il y a quelques années encore, elle aurait eu raison. Seule une infime proportion des millions d’Africains ayant besoin de médicaments antisida vitaux pouvaient se les procurer ; la séropositivité était une sentence de mort pour les autres.

Photo: Increased access to ARV's Près de 800 000 Africains de plus ont eu accès aux antirétroviraux au cours des deux dernières années.
Photo: Reuters / Mike Hutchings

Mais Jeanette a eu de la chance. Dans le cadre d’un programme de traitement de la mère et de l’enfant parrainé par l’UNICEF et mis en œuvre au centre, elle a pu obtenir des antirétroviraux pouvant lui sauver la vie et des médicaments qui ont empêché la transmission du virus à son bébé. Bien que la vie demeure difficile pour les femmes rwandaises dix ans après le génocide (voir p. 6) et que Jeanette pense qu’elle serait frappée d’ostracisme si son état venait à être découvert, elle et ses enfants ont une chose dont elle pensait à l’origine être privée : un avenir.

Jeanette et son bébé font partie des bénéficiaires d’un programme d’urgence, la campagne “3x5”, qui visait à fournir des antirétroviraux et d’autres médicaments à 3 millions de personnes vivant avec le VIH/sida dans les pays en développement avant la fin de 2005 (voir Afrique Renouveau, avril 2004). Lancée en décembre 2003 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), cet effort remarquable a permis de fournir des antirétroviraux à près de 1,3 million de personnes démunies et gravement malades du monde entier en seulement deux ans – exploit que de nombreux responsables de la santé publique pensaient impossible. En 2004, on estimait que 6 millions de personnes dans le monde avaient besoin d’antirétroviraux, qui ne sont prescrits qu’aux personnes à un stade avancé de la maladie. Quelque 40 millions de personnes sont porteurs du virus dans le monde, dont 25 millions en Afrique.

Grâce à la campagne 3x5, le nombre d’Africains sous traitement antirétroviral est passé de 50 000 à environ 810 000, à mesure que les gouvernements, les organisations de la société civile, les organismes multilatéraux et les donateurs bilatéraux ont fait un effort sans précédent pour former du personnel, cons­truire des centres de santé et des laboratoires et acheter des médicaments et du matériel.

Bien que le nombre de personnes bénéficiant du traitement soit inférieur à l’objectif visé, l’Envoyé spécial des Nations Unies pour le VIH/sida en Afrique, M. Stephen Lewis, a qualifié la campagne de “grand progrès."

“L’inertie face à la pandémie était horrible, jusqu’à cette intervention éclairée et clairvoyante, a-t-il déclaré à Afrique Renouveau. Maintenant, l’éthique de traitement a pris racine. L’élan est irréversible … et nous y parviendrons.”

Accès universel

L’initiative 3x5 a pris fin le 31 décembre 2005. A présent, l’OMS et ses partenaires, notamment le Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida (ONUSIDA), le Plan d’urgence du Président des Etats-unis pour la lutte contre le sida (PEPFAR) etle Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, entendent tirer parti de son succès. Ils ont lancé une nouvelle campagne mondiale pour faire bénéficier des services de prévention, des soins et du traitement du sida tous ceux qui en ont besoin d’ici à 2010. Cette campagne, baptisée “accès universel”, a été lancée en janvier 2006 et vise à accorder à la prévention et aux soins le même degré d’urgence et la même importance que la campagne 3x5 avait accordés aux traitements, en associant les trois interventions au sein d’une offensive élargie et concertée contre l’épidémie.

A la différence de la campagne 3x5 et de ses objectifs mondiaux, le programme d’accès universel met l’accent sur l’action au niveau national. Chaque pays est appelé à définir objectifs et échéances conformément aux stratégies nationales de lutte contre le sida, avec une plus grande participation de la société civile, en particulier des personnes vivant avec le VIH et le sida, à la planification et à l’exécution. La campagne sera conduite par un comité directeur mondial chargé d’aider les gouvernements à surmonter les obstacles dans quatre domaines essentiels pour l’expansion rapide des services liés au VIH/sida :

  • Assurer un financement accru et plus fiable (y compris de sources internes) et une meilleure adéquation des crédits fournis par les donateurs aux priorités nationales
  • Remédier aux insuffisances des systèmes de gestion des ressources humaines et de santé
  • Fournir des produits essentiels, notamment des médicaments et des préservatifs à coût abordable, ainsi que des services de dépistage, de surveillance et de soins
  • Oeuvrer en faveur de l’égalité d’accès des hommes et des femmes aux services relatifs au VIH/sida et favoriser les efforts visant à mettre fin à la stigmatisation et à la discrimination contre les personnes vivant avec le virus.

Une riposte rapide et intégrée s’impose. Malgré l’initiative 3x5, l’augmentation des budgets des programmes de lutte contre le sida dans le monde et les progrès encourageants réalisés dans quelques pays, l’épidémie mondiale ne cesse de s’aggraver. En 2005, on a recensé quelque 5 millions de nouvelles infections et 3 millions de décès – les chiffres les plus élevés à ce jour. Et c’est l’Afrique qui continue à payer le plus lourd tribut, avec plus de 60% des personnes vivant avec le VIH, 60% des nouvelles infections et 70% des décès l’an dernier. Les femmes ont été les plus touchées; elles constituent 57% de la population africaine vivant avec le VIH et le sida.

L’appui de l’Afrique

Lors d’une réunion tenue à Brazzaville début mars sous l’égide de l’Union africaine, plus de 250 représentants de gouvernements, de la société civile et d’organisations de femmes ainsi que de personnes vivant avec le sida et de jeunes, provenant de 53 pays africains, ont accueilli favorablement l’initiative. Ils l’ont rattachée au Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) et se sont engagés à “faire de l’être humain l’élément central de la lutte contre le VIH et le sida”, s’agissant en particulier des femmes, des jeunes et des orphelins du sida dont le nombre ne cesse d’augmenter. “On ne saurait perdre de vue le fardeau disproportionné et l’impact grave que le VIH et le sida ont sur l’Afrique”, ont déclaré les représentants. Ils ont fait observer que la pandémie était induite par la “pauvreté extrême et persistante, l’insécurité alimentaire, l’endettement… l’inégalité entre les sexes ainsi que la stigmatisation et la discrimination."

La Déclaration de Brazzaville exhorte les gouvernements africains à accroître les dépenses publiques consacrées à la lutte contre la pandémie, notamment en allouant au moins 15 % du budget national aux services de santé. Cet objectif n’est atteint que dans trois pays africains, indique ONUSIDA. La Déclaration appelle également les donateurs à appuyer les programmes nationaux sur le sida en leur assurant un financement concerté et fiable afin d’éviter les efforts inutiles, l’appui sporadique à des projets privilégiés et une répartition inégale des ressources entre zones géographiques et secteurs sociaux.

Toutefois, vu que le temps presse pour les quelque 5 millions de personnes qui ne sont toujours pas en mesure d’obtenir des antirétroviraux et autres médicaments, certains militants se demandent si la campagne en faveur de l’accès pour tous va perdre le dynamisme et l’urgence qu’avait suscités l’initiative 3x5.

M. Gregg Gonsalves, directeur de la prévention et de la mobilisation pour les traitements de Gay Men’s Health Crisis à New York, a déclaré à Afrique Renouveau qu’il s’inquiétait du manque d’objectifs chiffrés et d’échéances du programme d’accès pour tous. “Il n’y a ni cibles, ni feuille de route, ni mécanismes pour rendre compte ni indicateurs clefs. L’ambition mondiale de lutter contre l’épidémie s’est relâchée."

Alors que l’initiative 3x5 en faveur des traitements était controversée du fait de son ambitieux objectif et de ses cibles chiffrées et échéanciers, poursuit M. Gonsalves, l’accès pour tous “est beaucoup trop vague.” Les responsables d’institutions multilatérales de santé et les gouvernements donateurs, soutient-il, ne veulent pas prendre de risques. “C’est un recul par rapport à l’initiative 3x5."

En revanche, M. Michel Sidibé, coprésident du comité directeur de la campagne, estime que ce sont les pays qui peuvent le mieux fixer les objectifs et les échéanciers, en tenant compte des conditions et des priorités locales. “Il appartient aux pays de s’approprier l’initiative”, dit-il depuis son bureau de Genève. “On ne peut fixer les objectifs et les échéanciers hors du contexte national car il n’y a pas qu’une seule pandémie du sida en Afrique mais plusieurs. Le Mali a un taux d’infection au VIH de moins de 1,5 %. On ne peut avoir le même programme au Botswana, qui enregistre un taux d’infection de 40 %. Les pays sont mieux placés pour allouer les ressources en vue d’obtenir les meilleurs effets.”

“La mobilisation, ça marche”

M. Sidibé, directeur de l’appui national et régional à ONUSIDA, fait l’éloge de la campagne 3x5 qui a bénéficié à plus d’un million de personnes dans le monde. “Cela montre que la mobilisation, ça marche.” Mais il indique également que ce chiffre ne représente pas grand-chose à côté des 5 millions de personnes nouvellement infectées en 2005. “Il faut adopter une approche globale, qui mette l’accent sur la prévention, les soins et le traitement, souligne-t-il. Nous avons procédé de façon fragmentaire depuis 20 ans.”

M. Sidibé fait également observer que la campagne en faveur de l’accès pour tous s’est inspirée du Mécanisme d’évaluation intra-africaine, au titre duquel les Etats membres contrôlent et évaluent mutuellement leurs politiques économiques et politiques (voir Afrique Renouveau, février 2003). De la même manière, la campagne amènera les gouvernements africains à évaluer les progrès accomplis par chaque pays dans la lutte contre le virus. En établissant des liens entre les gouvernements, la société civile, le secteur privé et la communauté internationale, conclut-il, le monde pourra finalement tourner la page du VIH et du sida “de manière globale et durable.”

Stephen Lewis : “Se battre comme un beau diable” pour assurer l’accès pour tous

Dans une interview accordée à Afrique Renouveau, M. Stephen Lewis, Envoyé spécial du Secrétaire général de l’ONU pour le VIH/sida en Afrique, a qualifié de “sornettes” les supputations selon lesquelles la multiplication par 16 du nombre d’Africains bénéficiant de médicaments antisida vitaux s’est faite au détriment de programmes de prévention essentiels. Il a également nié que des compromis doivent être faits dans l’affectation de ressources restreintes. “Il y a ce sentiment constant qu’on est contraint d’opter soit pour le traitement au lieu de la prévention, soit pour la prévention au lieu du traitement. Les gens doivent absolument s’affranchir de cet état d’esprit… et dire, comme chacun le sait dans le monde, que l’un et l’autre sont d’une importance vitale. Il faut simplement continuer à se battre comme un beau diable pour obtenir les fonds nécessaires pour tout. Il ne faut jamais abdiquer, ni rien n’accepter d’autre."

Avant la campagne 3x5, rappelle-t-il, de nombreux hauts responsables de la santé publique et fonctionnaires des Nations Unies pensaient qu’il était impossible de traiter les gens dans les pays pauvres. “Ils disaient, ‘ces gens vont mourir de toute façon. Consacrons les fonds à la prévention.’ J’avais l’habitude de répondre non pas en lançant un appel à la compassion, mais en disant qu’on ne peut pas empêcher 40 millions de personnes qui sont infectées d’exiger un traitement. Ne me dites donc pas qu’elles vont mourir. Il faudra leur donner un traitement, qu’on le veuille ou non. Vous allez à contre-courant de l’histoire et l’histoire ne vous ménagera pas.”