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L’Afrique et le crime organisĂ©

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L’Afrique et le crime organisĂ©

Des mesures anti-corruption s’imposentÌępour combattre les rĂ©seaux criminals
Afrique Renouveau: 
Reuters / Radu Sigheti
Kenyan police prepare to burn cocaine sachets seized from drug smugglers La police kenyane s’apprĂȘte Ă  brĂ»ler des sachets de cocaĂŻne confisquĂ©s Ă  des trafiquants de drogue.
Photo: Reuters / Radu Sigheti

En un seul coup de filet, les autoritĂ©s de GuinĂ©e-Bissau ont saisi en avril 635 kilogrammes de cocaĂŻne, estimĂ©s Ă  50 millions de dollars. Les trafiquants ont toutefois rĂ©ussi Ă  s’échapper en emportant le reste de la cargaison. Le Directeur exĂ©cutif de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), Antonio Maria Costa, a fait l’éloge de cette saisie en dĂ©plorant la faiblesse des forces de police dans le pays. “Il est regrettable que le reste de la cargaison n’ait pas Ă©tĂ© interceptĂ©, mais ce n’est guĂšre surprenant car la police est trĂšs mal Ă©quipĂ©e et n’a souvent mĂȘme pas assez d’essence pour ses vĂ©hicules."

Le mĂȘme mois, les mĂ©dias ont notĂ© qu’afin d’échapper au renforcement du dispositif policier au large des cĂŽtes europĂ©ennes, les trafiquants de drogue avaient Ă©tabli une zone de transit le long du Golfe de GuinĂ©e. Les Etats africains fragilisĂ©s doivent souvent faire face Ă  des problĂšmes urgents tels que la pauvretĂ©, la faiblesse des institutions ou l’instabilitĂ© politique et peuvent ainsi constituer un refuge pour ces groupes criminels. Un des ces rĂ©seaux illĂ©gaux qui opĂšrent en GuinĂ©e-Bissau comprend des fournisseurs sud-amĂ©ricains, des transporteurs africains et des distributeurs europĂ©ens.

La GuinĂ©e-Bissau, qui est encore en train de se relever d’une guerre civile qui a pris fin il y a six ans, est particuliĂšrement vulnĂ©rable. C’est l’un des 10 pays les plus pauvres du monde et elle n’a pas de prisons sĂ»res ni de patrouilles frontaliĂšres efficaces. “Toutes les institutions se sont effondrĂ©es, explique M. Koli Kouame de l’Organe international de contrĂŽle des stupĂ©fiants (OICS). Le renforcement des dispositifs policiers dans la pĂ©ninsule ibĂ©rique, qui Ă©tait la zone de transit traditionnelle pour la drogue en provenance d’AmĂ©rique du Sud et Ă  destination de l’Europe, force les rĂ©seaux criminels Ă  trouver des itinĂ©raires diffĂ©rents passant par l’Afrique. La GuinĂ©e-Bissau, qui a une position stratĂ©gique proche de l’Europe et une cĂŽte poreuse constituĂ©e d’un labyrinthe d’üles, est un sanctuaire idĂ©al.

Une demande trÚs élevée

La demande de stupéfiants comme la cocaïne atteint des niveaux sans précédent en Europe. Un kilogramme de cocaïne se vendrait pour environ 80 000 dollars en Europe, contre 50 000 aux Etats-Unis, le plus grand marché du monde pour ce stupéfiant.

De 2000 Ă  2003, les autoritĂ©s africaines n’ont rĂ©ussi Ă  saisir que 600 kilogrammes de cocaĂŻne en moyenne par an, soit 0,2 % du montant de drogue qu’on estime avoir passĂ© par la rĂ©gion dans la mĂȘme pĂ©riode, note l’ONUDC dans un rapport de 2005 consacrĂ© Ă  l’Afrique.

Le cas de la GuinĂ©e-Bissau illustre certains des problĂšmes auxquels doivent faire face de nombreux pays africains appauvris. La faiblesse des forces de l’ordre, des fonctionnaires sous-payĂ©s et des frontiĂšres nationales poreuses font de ces pays un lieu idĂ©al pour les organisations criminelles qui s’y procurent ou y font transiter des produits illĂ©gaux.

Policeman in Rwanda Des policiers du Rwanda : De nombreuses polices africaines ont besoin d’ĂȘtre mieux formĂ©es, mieux Ă©quipĂ©es et mieux financĂ©es pour faire face aux dĂ©fis que prĂ©sentent le crime organisĂ© et la contrebande.
Photo: Alamy Images / Alan Gignoux

L’Afrique a beaucoup moins de policiers par habitant que les autres rĂ©gions du monde (180 pour 100 000, alors que l’Asie en a 363). De plus, quand les policiers sont sous-payĂ©s et les fonctionnaires corruptibles, la tĂąche des trafiquants n’en est que plus aisĂ©e. Les autoritĂ©s publiques peuvent ĂȘtre soudoyĂ©es pour dĂ©tourner les yeux ou mĂȘme pour travailler en collusion directe avec les trafiquants.

Les organisations criminelles transnationales se livrent au trafic illicite d’une vaste gamme de produits qui comprennent les stupĂ©fiants, les diamants, le pĂ©trole, l’ivoire et les armes. Ils opĂšrent Ă©galement des rĂ©seaux d’immigration clandestine. L’ONU rapporte que 90 % des pays africains sont touchĂ©s par le trafic d’ĂȘtres humains, que ce soit en tant que source, zone de transit ou destination.

Le trafic de drogue, la prostitution, le jeu, le prĂȘt usuraire et la corruption de l’administration Ă©tant illĂ©gaux maisÌęun grand nombre de ces activitĂ©s Ă©tant consensuelles, les experts notent qu’il est trĂšs difficile d’évaluer l’importance du crime organisĂ© Ă  partir des statistiques officielles, en Afrique ou ailleurs. “Mais des enquĂȘtes d’opinion ainsi que les activitĂ©s de renseignement concernant la criminalitĂ© internationale et les saisies de contrebande suggĂšrent qu’il se peut que l’Afrique soit devenue le continent le plus ciblĂ© par le crime organisĂ©,” note l’ONUDC dans son rapport de 2005 sur le crime et le dĂ©veloppement en Afrique. “L’absence de contrĂŽles officiels rend le continent vulnĂ©rable au blanchiment d’argent et Ă  la corruption, activitĂ©s vitales pour l’expansion de la criminalitĂ© organisĂ©e.”

Un développement entravé

Les responsables des politiques de développement font remarquer que le crime organisé peut faire dérailler les programmes de développement. Réciproquement, un développement déséquilibré ou mal planifié contribue à la criminalité et entraßne un cercle vicieux pauvreté-crime-pauvreté.

Elle entraĂźne aussi la perte d’actifs et de ressources rares. Bien qu’on ne dispose actuellement que de peu de chiffres, la police sud-africaine a estimĂ© en 1998 que le pays perdait plus de 3 milliards de dollars de revenus par an du fait des activitĂ©s d’une trentaine de groupes criminels — asiatiques, italiens, nigĂ©rians et russes.

L’Angola, qui se relĂšve aussi d’un long conflit, est l’un des nombreux pays d’Afrique qui perd des millions de dollars de ses ressources nationales. Au cours de plus de 20 ans de guerre civile, ce pays d’Afrique australe a attirĂ© des dizaines d’organisations criminelles allĂ©chĂ©es par les trafics de diamants et autres ressources naturelles qui servaient auxÌęrebelles de l’UNITA Ă  financer leur guerre contre le gouvernement. Quand la guerre a pris fin en 2002, certains des combattants se sont reconvertis dans le crime transnational.

“Les pertes de revenus provoquĂ©es par ces crimes posent un grave problĂšme,” explique Charles Goredema de l’Institut d’études sur la sĂ©curitĂ© (Afrique du Sud). En Afrique australe, quand l’or et les diamants font l’objet de contrebande, ils Ă©chappent Ă  la taxation de ces produits et privent l’Etat de ressources qu’il aurait pu utiliser pour financer des services essentiels.

La perception par l’opinion de l’existence d’une criminalitĂ© Ă©levĂ©e ou de corruption dans un pays dissuade presque toujours les investisseurs potentiels. Dans son rapport sur le crime et le dĂ©veloppement en Afrique, l’ONUDC notait que les niveaux d’investissement sur le continent Ă©taient infĂ©rieurs Ă  ce qu’ils pourraient ĂȘtre Ă  cause de la perception que l’Etat de droit y prĂ©vaut rarement. En 2003, la part des investissements Ă©trangers directs en Afrique se montait Ă Ìę8,7 % Ă  peine des 172 milliards de dollars reçus par tous les pays en dĂ©veloppement. Ces niveaux sont bas bien que le rendement des investissements soit trĂšs supĂ©rieur en Afrique comparĂ© Ă  d’autres rĂ©gions en dĂ©veloppement.

Un fléau à combattre

Pour combattre le crime organisĂ©, les gouvernements peuvent notamment renforcer les lois nationales afin de dissuader les organisations criminelles d’utiliser leurs pays comme points de transit. Quand l’Angola a Ă©mergĂ© de sa pĂ©riode de conflit en 2002, le pays n’avait aucune politique spĂ©cialement conçue pour combattre le crime organisĂ©.

MĂȘme dans des pays plus stables comme l’Ouganda, une lĂ©gislation inadaptĂ©e peut freiner la lutte contre les organisations criminelles transnationales. “A cause de la faiblesse des lois ougandaises, les trafiquants trouvent pratique de passer par l’Ouganda,” explique Okoth Ochola, le Directeur adjoint des enquĂȘtes criminelles. “La loi actuelle sur les stupĂ©fiants et leur rĂ©pression (National Drug Policy and Authority Act) est trop clĂ©mente. Si vous ĂȘtes condamnĂ© au titre de cette loi, vous risquez une peine d’un an de prison ou une amende ne dĂ©passant pas un million de shillings,” (environ 570 dollars des Etats-Unis). Les trafiquants qui gagnent des millions de dollars prĂ©fĂšrent donc ĂȘtre condamnĂ©s en Ouganda plutĂŽt que dans des pays oĂč les peines sont plus fortes. M. Ochola ajoute que cinq ans se sont Ă©coulĂ©s depuis qu’un projet de loi sur le renforcement de cette lĂ©gislation a circulĂ©, mais qu’il n’a toujours pas Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© au parlement.

Avec l’aide de l’ONU, certains pays comme la GuinĂ©e-Bissau, ont entrepris de rĂ©former leurs services de sĂ©curitĂ© pour renforcer leur capacitĂ© de faire respecter la loi. En octobre 2006, le pays a mis sur pied une commission nationale pour lutter contre la prolifĂ©ration des armes lĂ©gĂšres et de petit calibre. Mais le gouvernement ne dispose pas de fonds suffisants Ă  consacrer Ă  cette entreprise. Ce pays d’Afrique occidentale qui compte 1,6 million d’habitants n’a mĂȘme pas de prison de haute sĂ©curitĂ© conforme aux normes pĂ©nitentiaires.

Selon M. Costa, Directeur exĂ©cutif de l’ONUDC, la GuinĂ©e-Bissau a besoin du soutien des organismes internationaux de financement pour acheter des Ă©quipements, des vĂ©hicules et des systĂšmes de communication pour sa police. “Si aucun soutien ne se manifeste, dit-il, j’ai bien peur que les policiers honnĂȘtes se dĂ©couragent. On ne doit pas laisser le pays devenir un narco-Etat.”

Une stratégie continentale

En rĂ©ponse au problĂšme du crime organisĂ©, les gouvernements d’Afrique de l’ouest et du centre se sont essentiellement contentĂ©s de mettre Ă  jour les lĂ©gislations nationales et les cadres lĂ©gaux afin de respecter les conventions et les protocoles de l’ONU, note M. Antonio Mazzitelli du bureau rĂ©gional de l’ONUDC.Jusqu’ici, explique M. Mazzitelli, cette approche a donnĂ© des rĂ©sultats mitigĂ©s. “Des efforts concrets et courageux pour assainir la situation, comme la campagne anti-corruption menĂ©e par le gouvernement du PrĂ©sident Obasanjo au NigĂ©ria, devraient certainement produire des rĂ©sultats spectaculaires — Ă  condition d’ĂȘtre poursuivis assez longtemps pour enclencher un cercle vertueux."

M. Christophe CompaorĂ©, SecrĂ©taire permanent du ComitĂ© national de lutte contre la drogue du Burkina Faso affirme : “il est urgent que tous les comitĂ©s nationaux de lutte contre le trafic de drogue de la sous-rĂ©gion se rencontrent et collaborent de maniĂšre efficace pour enrayer le flĂ©au et dĂ©manteler les rĂ©seaux.” Il prĂ©vient qu’un itinĂ©raire, alimentĂ© par un rĂ©seau rĂ©gional en pleine expansion, est en train de se mettre en place dans l’Ouest et le Sud-ouest du pays pour le transport de la drogue. En avril, la police burkinabĂ© a interceptĂ© pour 10 millions de dollars de cocaĂŻne Ă  la frontiĂšre avec le Mali.

Le soutien des organisations rĂ©gionales est Ă©galement nĂ©cessaire pour permettre Ă  ces pays de combattre efficacement la dimension transfrontaliĂšre des activitĂ©s du crime orga­nisĂ©. L’une d’entre elle est l’Institut africain des Nations Unies pour la prĂ©vention du crime, fondĂ© en 1989. Depuis cette date, l’institut a souffert d’un manque de moyens, et a donc souvent Ă©tĂ© incapable de remplir certaines de ses fonctions fondamentales.

L’effort engagĂ© dans le cadre du Programme d’action 2006-2010, destinĂ© Ă  combattre les drogues et la criminalitĂ© en Afrique, a aussi Ă©tĂ© entravĂ© par l’insuffisance des ressources; ce plan avait Ă©tĂ© adoptĂ© par les membres de l’Union africaine Ă  l’issue d’une table ronde organisĂ©e par l’ONUDC Ă  Abuja (NigĂ©ria) en 2005. Il offre un cadre Ă  la coopĂ©ration technique et Ă  l’aide des bailleurs de fonds destinĂ©es Ă  rĂ©duire les obstacles que la criminalitĂ© et les drogues constituent pour la sĂ©curitĂ© et le dĂ©velop­pement en Afrique. Il comprend des programmes d’action spĂ©cifiques pour la rĂ©forme de la justice pĂ©nale, la lutte contre le blanchiment d’argent, la corruption et le trafic de drogue.

“Le trafic de stupĂ©fiants est un problĂšme mondial qui a un effet dĂ©vastateur sur le bien-ĂȘtre de la communautĂ© internationale,” affirme Wilfred Machage, Ministre adjoint de la santĂ© du Kenya. Pour faire des progrĂšs dans la lutte contre ce flĂ©au il faudra disposer d’un meilleur financement et mener un combat permanent contre la culture de plantes narcotiques Ă  tous les niveaux, conclut-il.

Dans son rapport de 2006, l’OICS avertit cependant que si le problĂšme que pose le trafic de drogues sur le continent n’est pas maĂźtrisĂ©, il est Ă  craindre qu’il avive les tensions d’ordre social, Ă©conomique et politique qui existent dĂ©jĂ .

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