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Remède à l'impasse sur la polio au Nigéria

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Remède à l'impasse sur la polio au Nigéria

De nouvelles infections remettent en cause la campagne mondiale d'élimination du fléau
Afrique Renouveau: 
WHO/Jean-Marc Giboux
Dans le passé, la polio a fait de nombreuses petites victimes en Afrique; aujourd'hui, elle est sur le point d'être éliminée. Photo: WHO/Jean-Marc Giboux

Une longue controverse entre les autorités locales et fédérales du Nigéria au sujet de l'innocuité des vaccins anti-polio fournis par l'ONU serait sur le point d'être réglée, grâce à l'intervention personnelle du Secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, et de son Représentant spécial pour l'Afrique, le Secrétaire général adjoint, Ibrahim Gambari.

Pour l'Organisation mondiale de la santé (OMS) la propagation de nouvelles infections constitue un "avertissement sérieux" du danger que représente la suspension des campagnes d'immunisations.

La polémique s'est déclenchée en juillet 2003, à la suite d'accusations lancées par certains chefs religieux islamiques selon lesquelles les vaccins fournis par le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) avaient été délibérément contaminés avec des produits chimiques stérilisants dans le cadre de la guerre que mènent les Etats-Unis contre le terrorisme. Ces accusations avaient conduit les autorités de quatre Etats du nord du Nigéria à majorité musulmane à suspendre les campagnes d'immunisation anti-polio, pourtant jugées essentielles, tant que l'innocuité du vaccin n'aurait pas été établie. A présent, les autorités du seul Etat qui continue à refuser la reprise des vaccinations -- le Kano -- ont indiqué qu'elles pourraient bientôt suivre l'exemple des trois autres Etats et autoriser la reprise des vaccinations.

Malgré les efforts déployés par les autorités fédérales pour convaincre les autorités locales de reprendre la vaccination des enfants contre cette maladie incurable et débilitante, ces dernières ont persisté à affirmer que les vaccins étaient contaminés et peu sûrs. Le résultat des tests effectués en laboratoire n'a pas dissipé leurs doutes; en effet, bien que les autorités fédérales aient annoncé l'an dernier qu'aucun contaminant n'a été dépisté, d'autres tests entrepris par les autorités de Kano auraient confirmé la présence d'oestrogènes et d'autres substances étrangères. Le désaccord entre scientifiques et les rapports déjà tendus entre la région musulmane du nord et les autorités fédérales, suite aux violences opposant communautés chrétienne et musulmane et à l'adoption de la charia par la majorité des Etats du nord du pays ont transformé cette polémique en une impasse politique.

Le nord du Nigéria est l'un des six "foyers" de polio encore actifs dans le monde, avec l'Inde, le Pakistan, le Niger, l'Afghanistan et l'Egypte. Mais en raison de la suspension du programme d'immunisation au Nigéria, la souche unique à cette région s'est répandue, provoquant de nouvelles infections dans le sud du Nigéria et dans 10 autres pays de la région au moins -- Ghana, Togo, Bénin, Burkina Faso, Tchad, Côte d'Ivoire, République centrafricaine, Cameroun, Soudan et même le Botswana.

Cette propagation devrait coûter 100 millions de dollars en nouvelles campagnes de vaccination visant à circonscrire le fléau dans les régions déjà débarrassées de la polio. Pire encore, cette réapparition de la maladie remet en cause les efforts de trois milliards de dollars effectués par la communauté internationale pendant 16 ans -- efforts sans précédent qui ont fait dire à l'OMS qu'il s'agit de "la meilleure et peut-être dernière" chance d'éliminer la polio.

Intervention du Secrétaire général

Les principaux protagonistes de la lutte contre la polio, les autorités américaines, l'OMS, l'UNICEF et l'association caritative Rotary International ont donc fait appel aux bons offices du Secrétaire général. Il est rare que les hauts fonctionnaires de l'ONU interviennent dans les relations entre les autorités et les ressortissants des Etats membres. Pourtant, depuis son entrée en fonctions, M. Annan s'est efforcé d'associer à la fois sa personne et son cabinet aux efforts visant à trouver des solutions aux graves problèmes sanitaires de notre temps, comme le VIH/sida et le paludisme. La campagne d'élimination de la polio ayant été remise en question, le Secrétaire général a donc prêté son concours.

Ce concours s'est manifesté en la personne de Ibrahim Gambari, principal médiateur du Secrétaire général en Afrique, et ancien Ministre des affaires étrangères du Nigéria qui a été dépêché sur place début mars pour aider les parties à résoudre le problème. Selon le témoignage de M. Gambari, le message du Secrétaire général était très simple. "D'abord, il affirmait qu'il était possible d'éradiquer la polio et que des progrès considérables avaient été accomplis à cette fin. Ensuite, que le Nigéria était une source d'infection pour les autres pays qui avaient éliminé la polio chez eux. Troisièmement, que les ressources consacrées au problème de la polio pouvaient être mieux utiliséesaux fins d'autres priorités de développement. Et enfin, que le Secrétaire général et l'ensemble du système onusien étaient déterminés à aider le programme anti-polio du Nigéria."

Ce diplomate chevronné précise que la principale difficulté a été de séparer les interrogations scientifiques liées au vaccin des considérations politiques et religieuses. "Le Secrétaire général a souligné à tout le monde qu'il s'agissait d'un problème de santé publique. Qu'il s'agissait d'enfants. Quelles que soient leurs divergences politiques, [les responsables]devaient ranger leurs principes pour assurer que tous les enfants nigérians seraient immunisés et que la maladie ne reviendrait pas là d'où elle avait été extirpée."

Contacts de haut niveau

Dans un deuxième temps, a expliqué M. Gambari, il a fallu mobiliser les chefs politiques et religieux les plus influents du Nigéria, en particulier les chefs du nord du pays, autour des conclusions d'une commission de vérification nationale. Composée de 23 membres représentant toutes les tendances, celle-ci avait conclu à l'innocuité du vaccin à la suite d'une inspection en février des installations de fabrication du vaccin en Afrique du Sud, en Inde et en Indonésie.

Lors du premier jour de sa visite au Nigéria, M. Gambari s'est entretenu avec deux anciens chefs de l'Etat, le général Abdulsalami Abubakar et le général Muhammadu Buhari. Au cours de la semaine suivante, il a rencontré ou parlé avec cinq des six anciens présidents du pays encore en vie, emportant leur adhésion sur les conclusions du rapport de la commission et sur la reprise des campagnes d'immunisation. M. Gambari a également rencontré le Président en exercice Olusegun Obasanjo, des chefs traditionnels et religieux, et des hauts responsables des services de santé publique.

Le fait qu'un Secrétaire général adjoint puisse avoir accès à toutes ces personnalités politiques s'explique par les longs états de service de M. Gambari dans des cabinets successifs de son pays, y compris une dizaine d'années passées comme Ambassadeur du Nigéria auprès de l'ONU dans les années 90. Des six anciens présidents qu'il a consultés à cette occasion, se souvient-il, "j'ai travaillé avec cinq d'entre eux, y compris comme Ministre des affaires étrangères du temps du [général] Buhari. Au Nigéria, je ne suis pas vu comme un politicien dogmatique."

Au cours de sa mission, M. Gambari a également utilisé ses contacts avec les chefs traditionnels influents du pays. Pour s'assurer le soutien des deux principaux chefs traditionnels islamiques, le sultan de Sokoto et l'émir de Kano, "j'ai demandé à mon frère, l'émir d'Illorin, de les contacter pour préparer le terrain. C'est ce qu'il a fait", raconte M. Gambari. C'est pourquoi lorsque le Président Obasanjo a lancé la campagne d'immunisation dans l'Etat de Zamfara à la fin de mars, il a bénéficié du soutien du sultan de Sokoto et d'autres chefs importants du Nord.

M. Gambari a cherché d'autre part à améliorer les rapports entre les autorités fédérales et locales. "J'ai emmené des représentants du gouvernement fédéral lors de ma visite à Kano. J'ai encouragé le ministre (local) de la santé à considérer tous les aspects du rapport final du comité (de vérification), à supprimer les considérations religieuses et politiques et à bâtir des ponts entre le pouvoir fédéral et local."

Dernier obstacle

Fin juin, les autorités de Kano ont indiqué qu'elles autoriseraient la reprise des immunisations. Selon M. Gambari, leur réticence initiale provenait des résultats de tests effectués en Afrique du Sud, qui avaient révélé la présence de légères traces d'oestrogène dans certains échantillons de vaccin. En fait, de l'avis des experts de l'OMS, il s'agissait d'impuretés naturelles de l'eau qui entre dans la fabrication du vaccin à des doses bien inférieures à celles utilisées dans les pilules contraceptives. "Kano (a été) le seul Etat à rechigner devant la poursuite des immunisations au motif qu'on n'avait pas suffisamment tenu compte des positions de la population locale dans le processus de vérification des tests", précise M. Gambari.

Pour surmonter ce dernier obstacle, l'ONU a proposé un compromis : "Nous avons demandé au gouverneur de Kano s'il y avait un pays dont on pourrait importer le vaccin et qui lui conviendrait. Il a nommé l'Indonésie. Nous avons donc demandé (à l'UNICEF) de veiller à ce qu'il y ait une quantité suffisante de vaccin importé d'Indonésie pour couvrir les besoins d'immunisation de Kano Il ne restait plus aux autorités locales et fédérales qu'à s'asseoir autour d'une table et à régler les détails", a ajouté M. Gambari.

Depuis, le Ministre nigérian de la santé, Eyitayo Lambo, a annoncé que les deux parties avaient réglé toutes les questions en suspens et que les immunisations au Kano pourraient reprendre avec les vaccins importés d'Indonésie. Un lancement rapide de la campagne est essentiel. Après la longue suspension des immunisations, les autorités locales devront mener au moins six campagnes de vaccination à travers l'Etat de Kano avant la fin de l'année. Cet effort devra être suivi, selon l'OMS, d'une campagne massive et coordonnée visant à restreindre la propagation de la polio au Nigéria, qui entraînera la nouvelle la nouvelle vaccination des 74 millions d'enfants du reste du Nigéria et de 21 autres pays de l'Afrique de l'Ouest et centrale au début de 2005.

La lutte menée par les Etats-Unis contre le terrorisme et la mort de 11 enfants ayant participé au test d'un médicament expérimental effectué par la société pharmaceutique américaine Pfizer en 1996 à Kano ont alimenté la méfiance du public face au vaccin anti-polio. En effet, la guerre anti-terroriste est généralement interprétée par les populations de la région comme une agression contre l'Islam, et la pression internationale en faveur d'une reprise des immunisations comme essentiellement exercée par les Etats-Unis.

Mais, note M. Gambari, il importe de faire ce qui est juste pour les enfants et ce qui est bon pour l'Afrique. "Nous avons expliqué aux responsables locaux que cette (crise) n'était pas dans leur intérêt. Le Nigéria est en effet l'un des pays animateurs du NEPAD (instance chargée du développement du continent), il est à l'avant-garde des efforts visant à apporter la paix, la stabilité et le développement à l'Afrique de l'Ouest", ajoute M. Gambari. Tant que Kano n'aura pas mené à bien son programme de vaccination, dit-il, "la situation demeure grave. Et tant que tous les enfants nigérians n'auront pas été immunisés, tous les progrès accomplis risquent d'avoir été en vain"