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Les jeunes Kenyans ont 茅t茅 les pionniers de la transmission par t茅l茅phone cellulaire de messages vocaux ou textuels destin茅s 脿 informer sur les conflits politiques ; leur logiciel "Ushahidi" est d茅sormais utilis茅 dans diff茅rentes r茅gions du monde, notamment pour appuyer les secours humanitaires et veiller au bon d茅roulement des 茅lections.

Photo: Panos / Fred Hoogervorst

Le soir du 2 janvier 2008, 脿 23 heures pr茅cises, de retour d'un voyage 茅puisant qui l'a men茅e de Nairobi au Kenya 脿 Johannesbourg en Afrique du Sud, Ory Okolloh - une avocate kenyane d'une trentaine d'ann茅es - poste sur son blogue le message suivant : "pour que la r茅conciliation ait lieu au niveau local, il faudra d'abord que la v茅rit茅 de ce qui s'est pass茅 茅merge. Y a-t-il des gens qui veulent faire quelque chose - des accros de technologies capables de rendre compte de la violence et des destructions ont eu lieu en utilisant ?"

Au cours de la semaine pr茅c茅dente, les violences post-茅lectorales ont embras茅 le Kenya et fait des dizaines de victimes. Mme Okolloh elle-m锚me a risqu茅 sa vie au moment de quitter le pays. "Le trajet vers l'a茅roport a 茅t茅 l'un des moments les plus terrifiants de ma vie," 茅crit-elle encore sur son blogue.

Entre temps, les 茅missions de radio et de t茅l茅vision diffus茅es en direct ont 茅t茅 suspendues. D猫s lors, parmi l'importante diaspora kenyane dispers茅e 脿 travers le monde, nombreux sont ceux qui se tournent vers les blogues, comme celui de Mme Okolloh, pour s'informer de ce qui se passe dans leur pays. "Je mettais mon blogue 脿 jour presque toutes les cinq minutes," se souvient-elle. Mais elle est d茅bord茅e par la demande. C'est alors qu'elle lance son appel, vite suivi d'une vague de contributions. Un compatriote sugg猫re la cr茅ation d'une page Web donnant la liste des victimes avec des d茅tails sur le lieu et les circonstances de leur mort. Un autre propose de poster des renseignements sur les personnes d茅plac茅es afin " de mieux sensibiliser," le monde.

Quelques jours plus tard, Mme Okolloh et quatre jeunes blogueurs kenyans lancent le site Web , un forum de communication qui permet 脿 quiconque le souhaite de signaler des cas de violences par "texto" et courriel notamment tout en situant l'incident sur une carte en ligne. Afin d'assurer la fiabilit茅 de ces informations, un des membres de l'茅quipe utilise des sources gouvernementales, des informations fournies par des ONG et la presse pour v茅rifier la r茅alit茅 des incidents signal茅s 脿 Ushahidi ("t茅moignage" en Swahili).

Ushahidi illustre comment les jeunes Africains utilisent les nouvelles technologies comme moyen d'acc猫s au d茅bat politique. Selon une 茅tude de chercheurs de l'universit茅 Harvard*, Ushahidi est l'outil qui a permis de recueillir les informations les plus compl猫tes sur les violences post-茅lectorales au Kenya.

Bien que ce site Web ait 茅t茅 essentiellement con莽u pour alerter sur la crise, il a aussi fonctionn茅 comme point d'acc猫s 脿 une participation politique 茅largie. Utilisant leurs t茅l茅phones portables, les citoyens ordinaires ont pu aider 脿 d茅mentir les rumeurs et 脿 corriger ce qui, 脿 leurs yeux, 茅taient des sous-estimations sur la crise. Ils ont pu ainsi 茅clairer les tendances et les caract茅ristiques de la vague de violence.

D茅mocratiser l'information

David Hersman, un des co-fondateurs d'Ushahidi, affirme que le seul objectif 茅tait de "d茅mocratiser l'information".

Juliana Rotich, autre co-fondateur d'Ushahidi, est du m锚me avis. Elle note cependant l'impact limit茅 qu'a eu la plateforme 脿 l'茅poque. Aucune campagne de communication n'ayant 茅t茅 organis茅e pour aider les gens 脿 la conna卯tre. Ceux qui l'ont utilis茅e 茅taient principalement des gens qui se connectaient d茅j脿 r茅guli猫rement sur Internet. "Nous n'avons pas r茅ussi 脿 toucher une masse critique de la population du pays, en partie parce que nous n'avons pas eu beaucoup d'茅cho au niveau local, explique Mme Rotich 脿 Afrique Renouveau.

Des activistes de la paix non gouvernementaux 茅changent des informations par t茅l茅phone cellulaire dans les banlieues sud-africaines pour pr茅venir des violences 脿 Soshanguve, une township proche de Pretoria.

Photo: laif/Redux / Christoph Goedan

En permettant 脿 de jeunes Africains de contribuer 脿 des discussions en cours et de participer 脿 des 茅v茅nements divers, les nouvelles technologies leur donnent un acc猫s in茅gal茅 au d茅bat politique. "Dans le contexte africain, pouvoir exprimer son opinion librement n'est pas facile," commente Th茅ophile Kouamouo, qui anime depuis d茅cembre 2007 , une plateforme Internet dynamique d'Abidjan en C么te d'Ivoire. M. Kouamouo, qui a organis茅 Abidjan Blogcamps, un s茅minaire de formation qui permet aux animateurs de blogues de tout le pays d'茅changer leurs vues et leurs exp茅riences, pense que les animateurs de blogues africains suivent le chemin trac茅 par les m茅dias ind茅pendants qui ont men茅, au d茅but des ann茅es 1990, la bataille pour la libert茅 d'expression. "Cela fait partie de nos efforts pour construire une soci茅t茅 d茅mocratique, " explique-t-il 脿 Afrique Renouveau.

Une initiative similaire, CongoBlog, a 茅t茅 lanc茅e en R茅publique d茅mocratique du Congo (RDC) par C茅dric Kalonji, un jeune journaliste de Kinshasa. Elle vise 茅galement 脿 donner aux jeunes Congolais un meilleur acc猫s 脿 la sph猫re publique tout en fonctionnant comme une agence de presse, avec des correspondants pr茅sents dans toutes les r茅gions du pays.

Dans un entretien avec Afrique Renouveau, Mme Okolloh d'Ushahidi, note que dans l'univers num茅rique "les obstacles 脿 l'entr茅e sont g茅n茅ralement moins importants et l'espace plus ouvert" si on les compare aux les m茅dias traditionnels. M. Hersman, son coll猫gue, est du m锚me avis : "la technologie est l'un des rares moyens qu'ont les jeunes Africains de contourner les carences du syst猫me qui permettent au statu quo de se perp茅tuer, d茅clare-t-il. Elle abaisse les obstacles 脿 l'acc猫s pour tous ceux qui veulent participer et faire entendre leur voix."

Du Kenya au reste du monde

Dans la mesure o霉 Ushahidi (qui est aussi un logiciel t茅l茅chargeable) a 茅t茅 con莽u pour pouvoir 锚tre utilis茅 par tous, il s'est r茅v茅l茅 tr猫s adaptable. Ce logiciel a servi 脿 secourir les survivants du tremblement de terre d'Ha茂ti en janvier. Il a aussi permis 脿 documenter la violence en RDC, en Afrique du Sud et 脿 Gaza.

Ushahidi a 茅galement aid茅 les gens 脿 s'informer sur les m茅dicaments disponibles dans les pharmacies du Kenya, d'Ouganda, du Malawi et de Zambie.

Lors des 茅lections, la plateforme permet de communiquer les r茅sultats du d茅pouillement des bulletins de vote au moment m锚me o霉 ils sont annonc茅s. Cuidemos el Voto, un projet ind茅pendant de cartographie 茅lectorale en ligne au Mexique, a utilis茅 Ushahidi lors du dernier scrutin f茅d茅ral dans le pays. Vote Report India, une initiative citoyenne du m锚me type s'en est servie 脿 l'occasion des 茅lections g茅n茅rales indiennes de 2009. Chose plus inattendue encore, en f茅vrier dernier, le logiciel kenyan a 茅t茅 mis 脿 contribution 脿 Washington, la capitale des 脡tats-Unis, pour aider 脿 organiser le d茅neigement apr猫s une 茅norme temp锚te de neige.

Des changements r茅volutionnaires

Longtemps avant l'茅mergence de cette derni猫re tendance, les Africains utilisaient d茅j脿 les nouvelles technologies, avec une certaine r茅ussite, dans des domaines aussi vari茅s que les affaires, la sant茅, l'enseignement 脿 distance et les activit茅s bancaires (voir Afrique Renouveau, janvier et avril 2008). Selon le dernier rapport de l'Organisation de coop茅ration et de d茅veloppement 茅conomiques (OCDE) intitul茅 Perspectives 茅conomiques en Afrique, l'utilisation de plus en plus importante des technologies de l'information et de la communication (TIC) en Afrique aide 脿 soutenir certains secteurs de l'茅conomie africaine dans le contexte actuel de crise.

L'utilisation r茅cente de ces technologies dans le champ politique s'inscrit dans un contexte de changements technologiques r茅volutionnaires dans tout le continent. Selon l'Union internationale des t茅l茅communications (UIT), l'industrie africaine de la t茅l茅phonie mobile cro卯t 脿 un rythme deux fois sup茅rieur 脿 celui enregistr茅 au niveau mondial. "Le t茅l茅phone portable, facile 脿 porter avec soi et avec une infrastructure moins co没teuse 脿 mettre en place, a pris la t锚te de la r茅volution africaine," ajoute le rapport de l'OCDE. Des c芒bles sous-marins tr猫s importants sont en train d'锚tre pos茅s au large des c么tes de l'Afrique, 脿 l'Ouest et 脿 l'Est du continent, et l'acc猫s 脿 l'Internet 脿 large bande devrait 茅galement s'am茅liorer consid茅rablement. Cette 茅volution pousse certains 脿 pr茅voir la fin du "foss茅 num茅rique" - l'茅cart creus茅 entre ceux qui ont acc猫s aux TIC et les autres.

Les instances politiques africaines s'efforcent de rattraper le retard pris ; fin janvier un sommet de l'Union africaine (UA) a trait茅 le th猫me des liens entre les TIC et le d茅veloppement. Auparavant, en 2007, l'organisation avait adopt茅 un plan d'action pour la science et la technologie et demand茅 脿 l'Organisation des Nations Unies pour l'茅ducation, la science et la culture (UNESCO) d'appuyer ce projet. Des discussions sont en cours entre l'OCDE, l'UNESCO et la Banque mondiale alors que l'UNESCO apporte son concours 脿 un examen de la situation de la science, de la technologie et de l'innovation dans 20 pays d'Afrique. Dans le cadre du Nouveau partenariat pour le d茅veloppement de l'Afrique (NEPAD) de l'UA, il est pr茅vu que toutes les 茅coles primaires et secondaires deviennent d'ici 脿 2025 des "cyber-茅coles" 茅quip茅es d'ordinateurs, de logiciels et d'acc猫s Internet (voir Afrique Renouveau, avril 2007).

Toutes ces 茅volutions sont les bienvenues, note Mme Rotich d'Ushahidi ; l'Afrique conclut-elle "devrait investir dans ses brillants cerveaux et encourager ses entrepreneurs."