Rondrotiana Barimalala est chercheur en climatologie 脿 l'universit茅 du Cap, en Afrique du Sud, et un des auteurs du rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'茅volution du climat (GIEC) r茅cemment publi茅, intitul茅 "Climate Change 2021 : The Physical Science Basis. Le rapport affirme que nous pouvons agir sur le changement climatique mais pr茅vient que le temps presse. Dans cet entretien avec Franck Kuwonu, Mme Barimalala parle de ce que les 茅v茅nements climatiques extr锚mes signifient pour l'Afrique et de ce qui pourrait 锚tre une nouvelle norme si le r茅chauffement climatique n'est pas combattu de toute urgence.
L'Afrique n'est pas un contributeur majeur aux 茅missions de carbone, et pourtant le r茅chauffement climatique d'origine humaine progresse plus rapidement sur le continent que dans le reste du monde, selon le rapport du GIEC. Comment expliquez-vous cela ?
Le r茅chauffement est mondial. Il se produit partout. Mais la situation en Afrique est pire en raison de notre capacit茅 limit茅e 脿 nous adapter, m锚me si la plupart des 茅missions se produisent ailleurs. Des 茅v茅nements plus extr锚mes, par exemple, se produisent dans diff茅rentes parties du monde, mais (...) notre capacit茅 d'adaptation est faible par rapport 脿 d'autres endroits. Et je pense que cela nous rend vuln茅rables et nous fait souffrir le plus des cons茅quences.
Apr猫s 1998, 2010 et 2016, l'Afrique a connu cette ann茅e son quatri猫me mois d'avril le plus chaud. Ces hausses de temp茅rature ont 茅t茅 perceptibles au cours des deux derni猫res d茅cennies. Est-ce une tendance que nous risquons de voir 脿 l'avenir ?
Oui. Au cours des derni猫res d茅cennies, le r茅chauffement a augment茅 rapidement. Et l'une des cons茅quences du r茅chauffement est la fr茅quence des 茅v茅nements extr锚mes, des temp茅ratures extr锚mes - par exemple, des temp茅ratures tr猫s chaudes ou tr猫s froides. S'il continue 脿 augmenter 脿 cette vitesse, alors nous devons nous attendre 脿 des 茅v茅nements plus fr茅quents. Et ceux-ci deviendront la nouvelle norme.
En ce qui concerne l'Afrique, les conclusions du rapport font 茅tat d'une augmentation des extr锚mes de chaleur et de froid, d'une 茅l茅vation du niveau de la mer, d'une augmentation des s茅cheresses et des inondations pluviales. Ces 茅v茅nements se produisent-ils de la m锚me mani猫re dans toutes les r茅gions ? L'Afrique du Nord les subit-elle au m锚me rythme que l'Afrique occidentale, centrale ou australe, par exemple ?
Il existe des diff茅rences. Dans le rapport, l'Afrique est divis茅e en neuf zones. Cette division est essentiellement fond茅e sur la compr茅hension des syst猫mes climatiques de la r茅gion. Ainsi, l'Afrique occidentale ne serait pas la m锚me que l'Afrique australe, par exemple. Toutes les r茅gions d'Afrique connaissent des chaleurs extr锚mes. Mais elle sera diff茅rente selon les r茅gions.
Permettez-moi de prendre l'exemple de l'ampleur de la vague de chaleur. Nous nous attendons 脿 ce que le nombre de jours o霉 la temp茅rature d茅passe 35 掳C en Afrique augmente consid茅rablement d'ici 2050, mais surtout en Afrique de l'Ouest et en Afrique de l'Est. Les augmentations substantielles dans ces r茅gions ne seront peut-锚tre pas les m锚mes en Afrique centrale. La r茅partition n'est donc pas uniforme ; tout n'augmentera pas au m锚me degr茅 partout.
En ce qui concerne l'Afrique de l'Ouest, le rapport pr茅voit une augmentation des pr茅cipitations dans le Sahel central et une diminution dans les r茅gions occidentales ?
Oui. Le rapport conclut que les r茅gions occidentales de l'Afrique conna卯tront une diminution des pr茅cipitations, 脿 l'exception du Sahel occidental, et qu'il y aura une augmentation dans les r茅gions orientales.
Quel sera l'impact de cette situation sur les moyens de subsistance des populations du Sahel ? Certaines parties du Sahel seront-elles vertes, dans les zones centrales par exemple, tandis que la zone occidentale deviendra plus aride ?
Oui. Pour la partie occidentale, il y aura une augmentation de l'aridit茅, malheureusement. Parce que nous avons une diminution des pr茅cipitations, cela aura un impact sur l'agriculture, l'茅cologie et la biosph猫re. Dans les zones o霉 l'on pr茅voit une augmentation des pr茅cipitations, il n'est pas impossible d'avoir une terre plus verte, par exemple dans la partie orientale. Mais l脿 encore, nous avons besoin de plus d'茅tudes pour le confirmer.
Une autre conclusion et projection du rapport est l'augmentation du niveau de la mer 脿 travers le continent. La partie occidentale, de la mer M茅diterran茅e 脿 l'Atlantique, semble 锚tre la plus touch茅e. Quelle est la gravit茅 de la situation ? Qu'en est-il des parties orientales, le long de l'oc茅an Indien ? Dans quelle mesure sont-elles touch茅es ?
Voyons ce qui se passe aujourd'hui avant de parler de l'avenir. Pour l'oc茅an Atlantique, de 1900 脿 2018, le niveau a augment茅 d'environ 2 millim猫tres par an. Pour l'oc茅an Indien, il 茅tait de 1,3 millim猫tre par an. Et r茅cemment, les niveaux sont presque les m锚mes. Maintenant, c'est environ 3,40 millim猫tres dans l'oc茅an Atlantique et 3,60 millim猫tres dans l'oc茅an Indien. Donc, c'est s茅rieux des deux c么t茅s. Ce qui rend la situation plus grave du c么t茅 ouest, je pense, c'est la faible 茅l茅vation des terres dans la r茅gion.
Changement climatique 2021
L'Afrique en bref :
- Les temp茅ratures moyennes et les extr锚mes de chaleur ont d茅pass茅 la variabilit茅 naturelle, par rapport 脿 1850-1900, dans toutes les r茅gions terrestres d'Afrique.
- Le taux d'augmentation de la temp茅rature de surface a g茅n茅ralement 茅t茅 plus rapide en Afrique que la moyenne mondiale, le changement climatique d'origine humaine 茅tant le facteur dominant.
- Les augmentations observ茅es des extr锚mes de chaleur (y compris les vagues de chaleur) et les diminutions des extr锚mes de froid (y compris les vagues de froid) devraient se poursuivre tout au long du 21e si猫cle avec un r茅chauffement climatique suppl茅mentaire.
- Les vagues de chaleur marines sont devenues plus fr茅quentes depuis le 20e si猫cle et devraient augmenter autour de l'Afrique.
- Le niveau relatif de la mer a augment茅 脿 un rythme plus 茅lev茅 que le niveau moyen mondial de la mer autour de l'Afrique au cours des trois derni猫res d茅cennies. Il est probable que l'茅l茅vation du niveau relatif de la mer se poursuivra de mani猫re quasi certaine autour de l'Afrique, contribuant 脿 l'augmentation de la fr茅quence et de la gravit茅 des inondations c么ti猫res dans les zones de faible altitude 脿 l'茅rosion c么ti猫re et le long de la plupart des c么tes sableuses.
- La fr茅quence et l'intensit茅 des 茅pisodes de fortes pr茅cipitations devraient augmenter presque partout en Afrique avec le r茅chauffement climatique suppl茅mentaire.
Donc, les deux augmentent, et on dirait que le c么t茅 indien a d茅pass茅 le c么t茅 occidental. Est-ce exact ?
Oui, mais l'impact n'est pas ressenti de la m锚me mani猫re car les zones c么ti猫res de l'est sont plus 茅lev茅es que celles de l'ouest. Si vous regardez la c么te le long de la Tanzanie, ces zones ont une topographie 茅lev茅e, une altitude plus 茅lev茅e.
En voyageant le long des zones c么ti猫res d'Afrique de l'Ouest, de Lagos (Nigeria) 脿 Abidjan (C么te d'Ivoire) par exemple, on peut voir des ruines de routes et de villages entiers, des sites historiques emport茅s par la mer. Quelle est la cause principale de ce ph茅nom猫ne - le r茅chauffement des eaux ou l'enfoncement des terres ? Ou est-ce la fonte des glaces, qui se produit loin du continent ?
Lorsque nous parlons de l'茅l茅vation du niveau de la mer, nous devons tenir compte de l'expansion due au r茅chauffement des oc茅ans. Et c'est ce qui contribue le plus 脿 l'茅l茅vation globale du niveau de la mer. Et puis, nous avons la fonte des glaces et des glaciers. Mais je pense que d'apr猫s les exemples que vous venez de donner, ceux-ci sont plus class茅s dans l'茅rosion c么ti猫re que dans l'茅l茅vation du niveau de la mer, je pense que les maisons et les routes qui disparaissent rel猫vent davantage de l'茅rosion c么ti猫re. Et le continent a connu des reculs du littoral au rythme d'un m猫tre par an depuis 1984 jusqu'脿 environ 2016/2017, et cela a 茅t茅 tr猫s important aussi.
Y a-t-il d'autres endroits dans le monde o霉, comparativement, le taux d'茅l茅vation est beaucoup plus 茅lev茅 ?
Comme pour les chaleurs extr锚mes, le taux d'茅l茅vation n'est pas uniform茅ment r茅parti. Par exemple, l'Atlantique se r茅chauffe plus rapidement que le Pacifique, ce qui entra卯ne une 茅l茅vation du niveau de la mer plus importante que la moyenne mondiale, le long des zones c么ti猫res de l'Europe et des 脡tats-Unis. Il existe 茅galement diff茅rents facteurs tels que le tassement ou l'茅l茅vation des terres en raison de la perte de poids de la glace due 脿 la fonte.
Quelles sont alors les cons茅quences probables de la poursuite de l'茅l茅vation du niveau de la mer ?
Les cons茅quences probables seraient sur les zones c么ti猫res, car lorsque le niveau de la mer s'茅l猫ve, il y a g茅n茅ralement plus d'茅rosion marine, une baisse de la qualit茅 de l'eau et la destruction de diff茅rentes infrastructures.听
Qu'est-ce qui nous attend ? 听Les tendances pr茅vues sont-elles irr茅versibles pour le continent ? De quoi les gens et les d茅cideurs politiques doivent-ils 锚tre conscients 脿 l'avenir ?
C'est une question d茅licate. Bien s没r, nous aurions int茅r锚t 脿 ce que les gaz 脿 effet de serre diminuent partout. En Afrique, c'est ce que nous attendons avec impatience, car nous sommes tr猫s vuln茅rables. Donc, si vous me demandez ce qui attend l'Afrique, je dirais que cela d茅pend des efforts mondiaux. Je pense que nous connaissons les faits. Nous savons ce qui va se passer si nous ne prenons pas de d茅cisions. Gr芒ce 脿 ce rapport, nous pr茅sentons les faits aux gouvernements. Il m'est donc difficile de dire ce qui attend l'Afrique. Mais cela d茅pend vraiment des d茅cisions prises au niveau mondial ainsi que des d茅cisions prises dans chaque pays d'Afrique quant 脿 ce qu'il faut faire sur la base de ces faits.
Communiqu茅 de presse:听
脌 propos du changement climatique 2021 : Les bases des sciences physiques
Selon le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'茅volution du climat, des changements climatiques se produisent dans toutes les r茅gions et dans le monde entier. Ce rapport, qui constitue l'茅valuation scientifique la plus r茅cente et la plus rigoureuse au monde des fondements physiques du changement climatique, d茅finit des changements sans pr茅c茅dent depuis des milliers, voire des centaines de milliers d'ann茅es. Il souligne qu'il est encore temps d'agir, mais que cela doit se faire imm茅diatement. Pour limiter le changement climatique, il faut r茅duire fortement et durablement les 茅missions de gaz 脿 effet de serre provenant d'activit茅s humaines telles que la combustion de combustibles fossiles.
Le rapport fournit 茅galement des 茅valuations r茅gionales d茅taill茅es du changement climatique, notamment des informations susceptibles d'茅clairer l'茅valuation des risques, l'adaptation et d'autres prises de d茅cision, ainsi que la mani猫re dont le changement climatique affectera les habitants d'une r茅gion donn茅e.
