Gilbert Bor g猫re une petite ferme dans les hauts plateaux de l'ouest du Kenya. Les paysages sont vallonn茅s, les routes du village sont bord茅es de pins, ses vaches sont pour la plupart de la race frisonne. Il se l猫ve tous les jours 脿 6 heures du matin pour conduire ses animaux 脿 travers les bois jusqu'脿 la vall茅e en contrebas.
La plupart des agriculteurs de son village de Kapseret et des environs cultivent du ma茂s ou des haricots pour assurer leur subsistance. Mais cela est sur le point de changer, selon M. Bor.
Les autorit茅s r茅gionales d'Afrique de l'Est ont commenc茅 脿 promouvoir les cultures de rente comme les avocats et le caf茅 pour augmenter les exportations kenyanes vers l'Union europ茅enne et la Chine. Dans le m锚me temps, les agriculteurs locaux s'organisent eux aussi, dit M. Bor. Sa propre communaut茅 a investi collectivement dans un tank 脿 lait pour renforcer sa position sur les march茅s laitiers r茅gionaux.
"Pour des produits comme le caf茅, les mangues ou les cacahu猫tes, l'Europe est un march茅 important", explique M. Bor, enthousiaste. "Les cultures export茅es du Kenya sont exempt茅es de taxes en Europe. Cela vaut 茅galement pour les exportations vers l'Europe du Ghana, du Nigeria et des pays francophones."
L'UE est une puissance agricole mondiale. Le bloc de 27 pays alimente le march茅 mondial avec un flux constant d'aliments transform茅s, de c茅r茅ales, de produits laitiers et de viandes, tout en important de grandes quantit茅s de mati猫res premi猫res comme le soja, la canne 脿 sucre ou l'huile de palme, ainsi que des l茅gumes et des fruits tropicaux comme les avocats.
Garder un 艙il sur les politiques de l'UE
La mondialisation rend les march茅s plus accessibles aux agriculteurs comme M. Bor. Selon lui, "presque tous les pays de l'UE ach猫tent des produits agricoles kenyans. Ceux qui en profiteront le plus d茅pendront de la d茅cision de pays comme l'Allemagne ou les Pays-Bas. Les agriculteurs africains doivent surveiller de plus pr猫s les d茅cideurs europ茅ens."
Les agriculteurs africains doivent notamment surveiller l'茅volution de la politique agricole commune (PAC) de l'UE, qui a 茅t茅 con莽ue en 1962 pour fournir des denr茅es alimentaires abordables 脿 sa population apr猫s la Seconde Guerre mondiale.
Dans le cadre de la PAC, l'UE est devenue si efficace que les exc茅dents se sont accumul茅s. Les autorit茅s ont ensuite introduit les restitutions 脿 l'exportation - en versant aux n茅gociants internationaux la diff茅rence entre les prix int茅rieurs 茅lev茅s de l'UE et les prix inf茅rieurs du march茅 mondial. 听
Ces subventions ont fait pression sur les prix des denr茅es alimentaires dans le monde entier, ce qui a eu des effets n茅fastes sur les 茅conomies agricoles africaines.
Cependant, l'UE a abandonn茅 ses subventions faussant les 茅changes en 2017. Un an plus tard, le Parlement europ茅en a, pour la toute premi猫re fois, command茅 une 茅tude sur l'impact de la PAC dans le monde.
"Ces derni猫res ann茅es, nous avons constat茅 des progr猫s pour mieux aligner l'agriculture sur les objectifs de d茅veloppement internationaux", explique Maria Blanco, auteur principal de l'Universit茅 technique de Madrid, en Espagne.
Toutefois, selon les experts, le simple fait d'accro卯tre le commerce international des produits agricoles ne se traduirait pas automatiquement par une am茅lioration des revenus des agriculteurs africains.
S'il n'est pas contr么l茅, ce commerce pourrait endommager l'environnement, entra卯ner des d茅placements de populations locales ou des violations des droits de l'homme.
Mme Blanco met en garde : "L'importation de canne 脿 sucre extra-europ茅enne cr茅erait une activit茅 茅conomique dans le sud du monde. Mais les importations de produits de base en provenance des pays en d茅veloppement peuvent 茅galement entra卯ner l'accaparement de terres ou la pollution de l'environnement."
Les produits de base sont g茅n茅ralement cultiv茅s dans de grandes plantations. D猫s que l'argent commence 脿 affluer, les enjeux, 茅conomiques et politiques, augmentent, ce qui met les petits agriculteurs en danger. Le passage 脿 une agriculture de type industriel exerce g茅n茅ralement une pression 茅norme sur l'environnement en ce qui concerne l'utilisation de produits chimiques, la d茅forestation ou la pollution de l'eau.
La pression des exportations
Les recherches men茅es par le groupe de r茅flexion ARC2020 et l'ONG allemande Heinrich B枚ll Stiftung montrent que la politique agricole de l'UE a des r茅percussions dans le monde entier. Les accords commerciaux avec le Honduras, par exemple, ont concentr茅 le commerce de la banane entre les mains de quelques multinationales, tandis que la demande de c茅r茅ales et de soja en Europe encourage le contr么le des terres en Asie centrale.
Malgr茅 ces perspectives positives, les agriculteurs africains subissent la pression incessante des exportations europ茅ennes. Apr猫s que les march茅s 脿 l'int茅rieur de l'Europe ont 茅t茅 inond茅s de lait apr猫s que le bloc a abandonn茅 son syst猫me de quotas en 2015, les producteurs n茅erlandais et allemands ont rapidement cherch茅 d'autres opportunit茅s d'exportation.
Des acteurs mondiaux du secteur laitier comme Danone ou FrieslandCampina ont augment茅 leurs capacit茅s de transformation en Afrique de l'Ouest. La filiale de FrieslandCampina, WAMCO, contr么le pas moins de 75 % du march茅 du lait au Nigeria.
Au Ghana, l'augmentation des exportations de poulet congel茅, qui sont pass茅es de 13 000 tonnes en 2003 脿 175 000 en 2019, a affect茅 la production locale.
Plus de 90 pour cent des viandes de poulet dans les supermarch茅s du Ghana sont import茅es des 脡tats-Unis ou de l'UE.
"La volaille a le chiffre d'affaires le plus 茅lev茅 et son cycle de production court permet de g茅n茅rer des revenus pour les agriculteurs du Ghana. Mais les exportations europ茅ennes de poulets congel茅s ont un impact n茅gatif sur notre propre industrie de la viande", s'inqui猫te Anthony Akunzule, 茅leveur de volailles.
La zone de libre-茅change de l'Afrique
La nouvelle zone de libre-茅change continentale africaine ( ZLECAf) pourrait stimuler les efforts des agriculteurs africains pour concurrencer l'UE. Cet accord commercial, qui 茅limine les droits de douane entre les pays africains 脿 hauteur de 90 % et s'attaque aux d茅lais douaniers, pourrait favoriser le commerce intra-africain dans le secteur agricole.
Le professeur de politique agricole europ茅enne Alan Matthews, du Trinity College de Dublin, estime que l'attention se d茅tourne 脿 juste titre de la notion selon laquelle la PAC est 脿 elle seule responsable des malheurs agricoles de l'Afrique.
M. Mathews affirme que les gouvernements africains n'ont pas r茅ussi 脿 donner la priorit茅 aux investissements dans les zones rurales, alors m锚me que la plupart des experts estiment d茅sormais que la ZLECAf sera un facteur de changement pour le d茅veloppement de l'Afrique.
Selon M. Bor, les agriculteurs africains ont besoin de politiques et d'actions favorables tant en Europe qu'en Afrique. Pour l'instant, il affirme que "les opportunit茅s sont partout pour les petits agriculteurs comme moi, principalement dans le cr茅neau de l'agriculture biologique.
