Ahunna Eziakonwa, Sous-Secr茅taire g茅n茅rale des Nations Unies, est la nouvelle Directrice du Bureau r茅gional pour l鈥橝frique du Programme des Nations Unies pour le d茅veloppement (PNUD). Mme Eziakonwa a 茅t茅 coordonnatrice r茅sidente de l鈥橭NU en 脡thiopie, en Ouganda et au Lesotho. Dans听 l鈥檈ntretien qu鈥檈lle a accord茅 脿 Kingsley Ighobor pour Afrique Renouveau, elle aborde des questions cl茅s touchant au d茅veloppement socio-茅conomique de l鈥橝frique, notamment les questions de l鈥檃utonomisation des femmes et des jeunes et de la zone africaine de libre-茅change, qui devrait entrer en vigueur dans les听 prochains mois. En voici des extraits.
Afrique Renouveau : Selon les projections du听 rapport Situation et perspectives de l鈥櫭ヽonomie mondiale 2018 publi茅 r茅cemment, la croissance 茅conomique de l鈥橝frique pour 2019 devrait 锚tre de 3,4 %, soit une augmentation marginale de 0,9 % par rapport 脿听 2018. Que doivent faire les pays pour acc茅l茅rer la croissance 茅conomique ?
Ahunna Eziakonwa : La faiblesse de la productivit茅 pose probl猫me. Les innovations et les nouvelles technologies doivent 锚tre davantage int茅gr茅es pour stimuler la productivit茅 agricole et les petites entreprises. Dans la plupart des pays, la modernisation agricole est faible, car elle est encore rudimentaire, non capitalis茅e et non commercialis茅e. Cela signifie qu鈥檌l existe un 茅norme potentiel. Les 茅conomies du continent sont vuln茅rables face 脿 la volatilit茅 des prix des produits de base sur le march茅 mondial. C鈥檈st pourquoi la diversification s鈥檌mpose. L鈥橝frique doit diversifier ses produits agricoles et ajouter de la valeur 脿 ses produits primaires ainsi听 qu鈥櫭� ses exportations pour 茅viter d鈥檈xporter ses emplois vers le reste du monde.
En 2003, les dirigeants africains se sont r茅unis 脿 Maputo, au Mozambique, et se sont engag茅s 脿 investir au moins 10 % de leur budget national dans l鈥檃griculture. Seuls quelques pays ont respect茅 cet engagement. Pourquoi certains pays n鈥檌nvestissent-ils pas massivement dans le secteur agricole ?
Quinze ans apr猫s la D茅claration de Maputo,seuls sept pays 鈥� le Burkina Faso, l鈥櫭塼hiopie, le Niger, le Mali, le Malawi, le S茅n茅gal et la Zambie 鈥� ont r茅guli猫rement rempli cet objectif. En fait, des pays comme le Malawi l鈥檕nt m锚me d茅pass茅, atteignant jusqu鈥櫭� 21 % en 2013, contre une moyenne de 3,1 % pour l鈥橝frique subsaharienne. Plusieurs facteurs expliquent le sous-investissement dans l鈥檃griculture en Afrique : la mise en 艙uvre du Programme d鈥檃justement structurel en Afrique qui a r茅duit le financement de l鈥檃griculture;
le faible financement international accord茅 脿听 l鈥檃griculture qui affaiblit la marge de man艙uvre pour les d茅penses agricoles; la faible volont茅 politique d鈥檃cc茅l茅rer les subventions aux intrants, d鈥檃ccro卯tre le nombre des听 conseillers听 agricoles, de d茅velopper la recherche et les infrastructures rurales. Par ailleurs,听 on peut citer les taux 茅lev茅s des pr锚ts qui limitent l鈥檃cc猫s des petits agriculteurs au financement. La r茅forme agraire est essentielle pour rem茅dier 脿 la fragmentation et maximiser les avantages offerts par les 茅conomies d鈥櫭ヽhelle en mati猫re d鈥檜tilisation des terres. Les gouvernements africains doivent disposer d鈥檜ne marge de man艙uvre pour investir dans l鈥檃griculture et l鈥檃gro-industrie afin de stimuler la diversification 茅conomique.
La r茅partition des terres a des effets n茅gatifs disproportionn茅s sur les femmes,听 qui sont plus nombreuses que les hommes 脿 travailler dans l鈥檃griculture. S鈥檃git-il de facteurs corr茅latifs ?
C鈥檈st l鈥檜ne des complexit茅s dont je parlais plus t么t. Les l茅gislations doivent 锚tre r茅examin茅es pour corriger certaines de ces incoh茅rences. Comme vous l鈥檃vez dit, dans certains pays, 80 % des personnes qui exercent des activit茅s agricoles sont des femmes, mais elles ne poss猫dent pas les terres et n鈥檕nt aucun droit de propri茅t茅. Des 茅tudes ont montr茅 que rien ne changera en mati猫re de听 d茅veloppement en Afrique si les femmes ne sont pas int茅gr茅es dans l鈥櫭ヽonomie formelle. Notre Rapport sur le d茅veloppement humain en Afrique 2016 a r茅v茅l茅 que les 茅conomies de l鈥橝frique subsaharienne perdent environ 95 milliards de dollars par an depuis 2010 en raison de l鈥櫭ヽart entre les sexes sur le march茅 du travail. Les femmes participent d茅j脿 脿 l鈥櫭ヽonomie, mais surtout de mani猫re informelle et non r茅glement茅e. Imaginez donc si vous lib茅rez le pouvoir, le talent et la d茅termination des femmes.
Plus pr茅cis茅ment, que peuvent faire les pays pour rem茅dier 脿 cette situation ?
Nous devons abroger toutes les lois qui font obstacle 脿 la participation听 et 脿 l鈥檌nt茅gration des femmes dans l鈥櫭ヽonomie formelle. Les femmes ont besoin de discrimination positive pour 锚tre lib茅r茅es de certaines obligations culturelles afin d鈥檃voir le temps de poursuivre leurs 茅tudes pour faire face 脿 la concurrence dans le secteur 茅conomique. Un investissement financier r茅el et d茅lib茅r茅 visant 脿 soutenir syst茅matiquement l鈥櫭ヾucation des femmes est important. L鈥檃utonomisation politique est 茅galement tr猫s importante. Nous avons vu des pays comme le Rwanda et l鈥櫭塼hiopie aller dans cette direction. Cela doit concerner听 les secteurs publics et priv茅s. Le processus de normalisation du label 茅galit茅 des sexes du PNUD, qui a 茅t茅 lanc茅 dans des pays comme l鈥橭uganda, vise 脿 promouvoir l鈥櫭ゞalit茅 des sexes sur le lieu de travail.
Quels sont les caract茅ristiques propres aux听 femmes听 ?
脌 cette question, certains pr茅sidents africains ayant nomm茅 des femmes r茅pondent : 芦 Les femmes sont moins corrompues et plus responsables dans leur utilisation des ressources 禄. En outre, dans de nombreux pays, ce sont les femmes qui听 g猫rent essentiellement la vie de leur famille. Les femmes sont des chefs pragmatiques, en contact avec la r茅alit茅 quotidienne et susceptibles de prendre des d茅cisions favorables au d茅veloppement humain.
Actuellement, 52 pays ont sign茅 l鈥檃ccord-cadre pour la Zone de libre-茅change continentale africaine (ZLECAf), mais seuls 18 pays l鈥檕nt ratifi茅. Que pourrait tirer l鈥橝frique d鈥檜ne zone de libre-茅change ?
Tout. Je ne vois pas l鈥檃venir du d茅veloppement en Afrique sans une int茅gration r茅gionale r茅ussie. C鈥檈st probablement l鈥檜ne des mesures les plus importantes prises par听 le continent听 pour r茅soudre son paradoxe de march茅. La population de l鈥橝frique d茅passe 1,2 milliard d鈥檋abitants et devrait atteindre 2,5 milliards d鈥檌ci 脿 2050 ; malgr茅 cela, nos march茅s sont petits et fragment茅s et n鈥檕nt aucune chance d鈥櫭猼re comp茅titifs 脿 l鈥櫭ヽhelle internationale s鈥檌ls n鈥檕nt pas le sens du collectif. Ainsi, le commerce intra-africain augmentera-t-il notre comp茅titivit茅 en mati猫re de commerce mondial.
Que fait l鈥橭NU pour encourager les pays r茅calcitrants 脿 adh茅rer 脿 la Zone de libre-茅change听 ?
L鈥橭NU, sous l鈥檌mpulsion de la Commission 茅conomique pour l鈥橝frique, soutient la zone de libre-茅change. Le PNUD est fermement convaincu que les pays qui y font obstacle ont besoin de听 davantage d鈥檌nformations sur les effets qui pourraient d茅couler de cet accord afin de pouvoir听 prendre des d茅cisions 茅clair茅es sur la fa莽on de s鈥檈ngager pleinement dans le processus.
Parlez-nous de l鈥檃ction actuelle du PNUD en Afrique.
Le PNUD est pr茅sent dans tous les pays africains. Nous nous consid茅rons comme un accompagnateur pour les pays dans leur parcours de d茅veloppement. Nous aidons les collectivit茅s 脿 cr茅er de meilleurs moyens d鈥檈xistence, nous aidons les jeunes 脿 cr茅er des entreprises et nous collaborons avec les pays pour att茅nuer les risques li茅s au climat d鈥檌nvestissement. En 2017, nous avons produit le premier rapport complet sur l鈥檌n茅galit茅 des revenus en Afrique听 lequel recommandait une strat茅gie de d茅veloppement symbolis茅e par un 芦 Arbre de l鈥櫭﹒uit茅 禄 poss茅dant听 quatre 芦 branches 禄 principales : la population, les fondamentaux macro茅conomiques, le d茅veloppement humain et la croissance. Au cours des cinq derni猫res ann茅es, nous avons touch茅 3,35 millions d鈥橝fricains dans 3 472 communaut茅s gr芒ce 脿 nos efforts en vue d鈥檃m茅liorer l鈥檃cc猫s 脿 l鈥櫭﹍ectricit茅. Nous aidons 茅galement les pays 脿 cr茅er la听 base l茅gislative qui leur permettra de dispenser des services et d鈥檃ssurer la croissance 茅conomique. Enfin, nous 艙uvrons avec des partenaires africains pour changer la perception du d茅veloppement du continent et en faire le prochain p么le de croissance du monde.
Pouvez-vous citer un ou deux pays dans lesquels vous avez enregistr茅 des succ猫s remarquables ?
De nombreux exemples de r茅ussite me viennent 脿 l鈥檈sprit, comme Enterprise Uganda, cr茅茅 par le PNUD il y a plus de 20 ans.听 C鈥檈st maintenant un organisme ind茅pendant qui a听 les moyens d鈥檃ider les institutions 脿 devenir des entreprises. En 脡thiopie, le PNUD a contribu茅 脿 la cr茅ation de la premi猫re bourse de produits de base du pays, qui est devenue une entreprise de plusieurs millions de birrs [monnaie 茅thiopienne]. Quant 脿听 la bourse de valeurs du Ghana, c鈥檈st l鈥檜ne des plus performantes d鈥橝frique.
Compte tenu de votre exp茅rience de travail en Afrique, 锚tes-vous optimiste quant 脿 l鈥檃venir du continent ?
Je suis optimiste parce que l鈥橝frique se d茅veloppe 脿 une 茅poque o霉 de nouvelles technologies 茅tonnantes听 peuvent acc茅l茅rer la croissance. Prenons l鈥檈xemple des solutions num茅riques : si vous voulez cr茅er des cartes d鈥檌dentit茅 pour les citoyens, vous pouvez passer imm茅diatement au num茅rique. Les possibilit茅s de financement des projets de d茅veloppement sont aujourd鈥檋ui plus nombreuses qu鈥檃uparavant. Et de nombreux dirigeants africains ont maintenant une meilleure id茅e听 du potentiel de l鈥橝frique.听 听 听 听
