5 juin 2020

5 juin 2020 ¡ª Nouvel ¨¦picentre mondial de la COVID-19, l¡¯Am¨¦rique latine est aujourd¡¯hui partag¨¦e entre un maintien des mesures impos¨¦es pour endiguer la propagation du coronavirus et une r¨¦ouverture progressive, ¨¤ l¡¯image des ?tats-Unis voisins. Les Nations Unies mettent toutefois en garde les pays latino-am¨¦ricains contre un rel?chement trop rapide des restrictions, qui ne ferait qu¡¯aggraver la situation.

Les chiffres sont en effet alarmants. L¡¯Am¨¦rique latine compte plus d¡¯un million de cas confirm¨¦s de la maladie et a franchi la barre des 50 000 d¨¦c¨¨s. Selon l¡¯, quatre des dix pays les plus atteints dans le monde - Br¨¦sil, P¨¦rou, Chili et Mexique - se trouvent dans cette r¨¦gion et enregistrent les hausses quotidiennes les plus ¨¦lev¨¦es.

Avec plus de 600 000 cas, le Br¨¦sil occupe ¨¤ pr¨¦sent le deuxi¨¨me rang mondial derri¨¨re les ?tats-Unis (1,9 million). Son total de d¨¦c¨¨s li¨¦s ¨¤ la COVID-19 (34 000) d¨¦passe d¨¦sormais celui de l¡¯Italie (33 760) et la courbe continue de grimper : 1 473 de ses habitants sont morts du coronavirus jeudi, contre 1 349 la veille.

De son c?t¨¦, le Mexique a pass¨¦ mercredi le seuil des 1 000 d¨¦c¨¨s en l¡¯espace de 24 heures pour la premi¨¨re fois depuis le d¨¦but de l¡¯¨¦pid¨¦mie. Le bilan s¡¯y ¨¦tablit pour l¡¯heure ¨¤ quelque 12 500 morts du virus, pour un total de cas confirm¨¦s sup¨¦rieur ¨¤ 105 000.

Malgr¨¦ ces courbes ascendantes, les deux g¨¦ants latino-am¨¦ricains ont entam¨¦ cette semaine une r¨¦ouverture graduelle de leur ¨¦conomie, ¨¤ l¡¯instar d¡¯autres pays de la r¨¦gion, parmi lesquels la Bolivie, la Colombie, l¡¯?quateur et le Venezuela.  Ces derniers sont toutefois nettement moins affect¨¦s et affichent des bilans plus stables.

Si un couvre-feu a ¨¦t¨¦ d¨¦cr¨¦t¨¦ mercredi dans une vingtaine de localit¨¦s de l¡¯?tat de Bahia, dans le nord-est du Br¨¦sil, l¡¯assouplissement des r¨¨gles de pr¨¦caution est g¨¦n¨¦ral dans le reste du pays. Un grand nombre de commerces non essentiels, d¡¯¨¦glises et de plages ont repris leur activit¨¦ normale, notamment ¨¤ Rio de Janeiro et Sao Paulo.  Le Mexique a quant ¨¤ lui rouvert lundi plusieurs secteurs de son ¨¦conomie, dont l¡¯industrie mini¨¨re, la construction et le tourisme.

Zones de transmission intense

Il n¡¯en demeure pas moins que la situation est loin d¡¯¨ºtre ma?tris¨¦e dans ces deux pays, comme dans toute l¡¯Am¨¦rique latine, o¨´ les syst¨¨mes de sant¨¦ subissent une forte pression. ? Soyons tr¨¨s clair, nous ne sommes pas pr¨¨s de voir la fin de cette ¨¦pid¨¦mie ?, a lui-m¨ºme admis Hugo L¨®pez-Gatell Ram¨ªrez, sous-secr¨¦taire mexicain ¨¤ la pr¨¦vention et ¨¤ la promotion de la sant¨¦, contredisant son propre gouvernement.

Alors que le monde s¡¯est longtemps pr¨¦occup¨¦ du sort de l¡¯Asie du Sud et de l¡¯Afrique, ? la situation dans ces deux contextes est toujours difficile, mais elle est stable ?, a lundi Michael Ryan, Directeur ex¨¦cutif de l¡¯OMS, lors d¡¯un ¨¦change virtuel avec des journalistes. En revanche, a-t-il ajout¨¦, ? il est clair que la situation dans de nombreux pays d'Am¨¦rique du Sud est loin d'¨ºtre stable ?.

? Bien que les chiffres ne soient pas exponentiels dans certains pays, nous assistons ¨¤ une augmentation progressive des cas sur une base quotidienne ?, a not¨¦ le Dr Ryan, appelant l¡¯ensemble de la r¨¦gion ¨¤ ? travailler tr¨¨s dur pour comprendre l'ampleur de l'infection ?.

De fait, en raison de la structure complexe de leur population et de la pauvret¨¦ urbaine, ? l'Am¨¦rique centrale et l'Am¨¦rique du Sud en particulier sont devenues des zones de transmission intense de ce virus ?, a-t-il analys¨¦, sans pouvoir pr¨¦dire, ? ¨¤ ce stade ?, quand sera atteint le pic de contamination.

Dans ce contexte, l¡¯, bureau r¨¦gional de l¡¯OMS pour les Am¨¦riques, a exhort¨¦ mardi les gouvernements ¨¤ ? r¨¦fl¨¦chir ¨¤ deux fois ? avant de lever les mesures de distanciation sociale.

Une employee de l'Organisation internationale pour les migrations donne des sacs de nourriture a une famille.

? N'ouvrez pas trop vite ou vous risquerez une r¨¦surgence de la COVID-19 qui pourrait effacer les acquis de ces derniers mois ?, a Carissa F. Etienne, Directrice de l¡¯OPS, lors de son point de presse hebdomadaire. ? Envisagez une approche g¨¦ographique du confinement et de l'ouverture en vous appuyant sur les taux de transmission dans des lieux sp¨¦cifiques. ?

? Il n¡¯y a pas de formule magique ?, a rench¨¦ri son adjoint, Jarbas Barbosa, ? mais si la transmission continue de cro?tre, c¡¯est le signe que l¡¯activit¨¦ ¨¦conomique ne doit pas imm¨¦diatement repartir ?. 

? toutes fins utiles, Mme Etienne a ¨¦galement rappel¨¦ que la r¨¦gion avait un ? besoin urgent ? de tests suppl¨¦mentaire pour mesurer la p¨¦n¨¦tration r¨¦elle de la maladie. Un appel destin¨¦ tout particuli¨¨rement au Br¨¦sil et au Mexique, o¨´ les capacit¨¦s de d¨¦pistage restent faibles, entra?nant une sous-estimation manifeste des cas de COVID-19.

Inqui¨¦tude pour les plus vuln¨¦rables

Les Am¨¦riques forment ? une r¨¦gion d'in¨¦galit¨¦s massives ?, aujourd¡¯hui confront¨¦e ¨¤ des urgences sanitaires, ¨¦conomiques et sociales qui doivent ¨ºtre trait¨¦es conjointement pour endiguer la COVID-19, a encore relev¨¦ la Directrice de l¡¯OPS. Avant d¡¯envisager une lev¨¦e des restrictions, les gouvernements devraient, selon elle, concentrer leurs efforts l¨¤ o¨´ les infections progressent et prot¨¦ger les communaut¨¦s vuln¨¦rables.

Reste qu¡¯avec la crise ¨¦conomique engendr¨¦e par la pand¨¦mie, les rangs des plus vuln¨¦rables grossissent et les perspectives ne pr¨ºtent pas ¨¤ l¡¯optimisme. La pr¨¦voit une de 5,3 % du produit int¨¦rieur brut r¨¦gional en 2020, ce qui devrait avoir pour effet d¡¯aggraver la condition d¨¦j¨¤ pr¨¦caire de millions de personnes oblig¨¦es de travailler pour avoir acc¨¨s ¨¤ la nourriture.

Une situation que les limitations de mouvement rendent ? difficile, voire impossible ?, estime Miguel Baretto, Directeur r¨¦gional du .

Selon l¡¯, qui anticipe la perte de 11,5 millions d¡¯emplois en Am¨¦rique latine et dans les Cara?bes cette ann¨¦e, la crise affecte tout particuli¨¨rement les travailleurs de l¡¯¨¦conomie informelle, dont 89 % sont par le confinement.

Face ¨¤ ce marasme, le PAM s¡¯efforce de venir en aide aux communaut¨¦s de la r¨¦gion menac¨¦es par la faim et la pauvret¨¦, alors que le nombre de personnes en situation de devrait passer de 3,4 millions en 2019 ¨¤ 13,7 millions en 2020, essentiellement en raison du coronavirus.

Le programme onusien, premi¨¨re agence humanitaire au monde, s¡¯attend notamment au doublement, de 540 000 ¨¤ plus d¡¯un million, du nombre de migrants v¨¦n¨¦zu¨¦liens souffrant de la faim en Colombie, en ?quateur et au P¨¦rou. M¨ºme crainte dans le couloir sec d¡¯Am¨¦rique centrale, o¨´ pr¨¨s de trois millions de personnes sont ¨¤ risque, contre 1,6 million aujourd¡¯hui.

Dans les Cara?bes, o¨´ l¡¯impact socio¨¦conomique de la COVID-19 est d¨¦j¨¤ d¨¦vastateur, la saison des ouragans qui vient de d¨¦buter fait craindre le pire pour les plus vuln¨¦rables. En Ha?ti, par exemple, l¡¯ins¨¦curit¨¦ alimentaire guette 1,6 million de personnes, soit plus du double du nombre actuel.

Deux femmes portant des masques de protection individuelle portent chacune un sac rempli de nourriture.

Le PAM a appel¨¦ les pays de la r¨¦gion ¨¤ renforcer leurs programmes de protection sociale et ¨¤ les ¨¦tendre aux migrants et aux personnes sans emploi formel. ? l¡¯occasion de la Journ¨¦e mondiale contre la faim, le 28 mai, il a aussi lanc¨¦ la campagne Manquer ce repas, qui vise ¨¤ accro?tre la solidarit¨¦ avec les communaut¨¦s latino-am¨¦ricaines et carib¨¦ennes dans le besoin.

La r¨¦ouverture n¡¯annonce rien de bon pour les autochtones

Le rel?chement des r¨¨gles de s¨¦curit¨¦ sanitaire et l¡¯absence de d¨¦pistage ¨¤ grande ¨¦chelle fait craindre une propagation accrue du virus dans la r¨¦gion. Parmi les groupes les plus expos¨¦s, les autochtones paient d¨¦j¨¤ un lourd tribut ¨¤ la maladie, notamment au Br¨¦sil o¨´ ils sont pr¨¨s d¡¯un million, vivant le plus souvent dans des conditions pr¨¦caires.  

Selon l¡¯Articulation des peuples autochtones du Br¨¦sil (APIB), association regroupant les 305 tribus du pays, au moins 211 membres de ces communaut¨¦s sont morts du coronavirus depuis le d¨¦but de l¡¯¨¦pid¨¦mie, pour 2 178 cas de contamination d¨¦but juin.

Rapport¨¦s au total de cas recens¨¦s dans le pays, ces chiffres peuvent para?tre relativement faibles. Ils montrent cependant que la pand¨¦mie atteint ces groupes vuln¨¦rables, dans les r¨¦serves comme dans les centres urbains, et y progresse rapidement. L¡¯OPS a du reste exprim¨¦ mardi sa grande pr¨¦occupation quant au taux de contamination des autochtones en Amazonie.

Le est quant ¨¤ lui pour les nombreuses communaut¨¦s autochtones en mouvement dans la r¨¦gion. On compte ainsi pr¨¨s de 5 000 V¨¦n¨¦zu¨¦liens autochtones d¨¦plac¨¦s en Amazonie br¨¦silienne, principalement du groupe ethnique Warao, mais aussi des communaut¨¦s E?apa, Kari?a, Pemon et Ye¡¯kwana.

Le HCR craint aussi qu¡¯un certain nombre de groupes autochtones binationaux, dont les Wayuu, Bari, Yukpa, Inga, Sikwani, Amor¨²a, qui vivent en Colombie pr¨¨s de la fronti¨¨re avec le Venezuela, soient aujourd¡¯hui en danger, en raison de leurs conditions de vie et de leur statut irr¨¦gulier.

? La plupart des groupes autochtones frontaliers sont menac¨¦s d'extinction physique et culturelle en raison d'une alimentation insuffisante et d'une malnutrition s¨¦v¨¨re qui peut augmenter le risque de contagion ?, alerte l¡¯agence onusienne. ? Ces zones manquent de services de sant¨¦ ad¨¦quats, ce qui peut aggraver la situation actuelle ?.

Pour le HCR, qui travaille avec les gouvernements pour garantir que les mesures de pr¨¦vention et d'assistance contre la COVID-19 atteignent les zones recul¨¦es, il s¡¯agit aussi d¡¯aider des communaut¨¦s que les mesures de confinement ont priv¨¦es de moyens de subsistance.

? Face ¨¤ la pauvret¨¦ et au d¨¦nuement croissants, certains n'ont d'autre choix que de colporter des marchandises dans la rue pour essayer de subvenir aux besoins de leur famille, ce qui les expose non seulement au risque d'infection mais aussi ¨¤ la stigmatisation et ¨¤ la discrimination ?, souligne le Haut-Commissariat en appelant ¨¤ un soutien accru pour ces populations.

D¨¦non?ant lui aussi les risques de pauvret¨¦, d¡¯expropriation, de malnutrition et d¡¯exclusion des services m¨¦dicaux auxquels sont confront¨¦s ces personnes, le nouveau des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, Jos¨¦ Francisco Cali Tzay, pour leur autonomie et le respect de leurs cultures sp¨¦cifiques.

? Face ¨¤ ces menaces, les communaut¨¦s autochtones qui ont le mieux r¨¦sist¨¦ ¨¤ la pand¨¦mie de COVID-19 sont celles qui sont autonomes et s¡¯administrent elles-m¨ºmes, g¨¦rant ainsi leurs terres, leurs territoires et leurs ressources, et assurant la s¨¦curit¨¦ alimentaire gr?ce ¨¤ leurs cultures traditionnelles et ¨¤ la m¨¦decine traditionnelle ?, fait valoir l¡¯expert.