24 mars 2020 ¡ª Activit¨¦ au ralenti, chute de la production, effondrement des march¨¦s financiers : la crise li¨¦e ¨¤ la propagation exponentielle du coronavirus fait entrer l¡¯¨¦conomie mondiale en r¨¦cession. Quelle en sera l¡¯ampleur ? Tout d¨¦pendra de l¡¯envergure et de la rapidit¨¦ des r¨¦ponses apport¨¦es par les ?tats et de leur capacit¨¦ ¨¤ coordonner leur action, estiment les responsables et les experts des Nations Unies.
Dans l¡¯urgence, les banques centrales du monde entier, ¨¤ commencer par celles des principales ¨¦conomies, ont multipli¨¦ les mesures de relance ¨¤ un niveau in¨¦gal¨¦ depuis la crise financi¨¨re de 2008. Malgr¨¦ cette d¨¦ferlante, les perspectives de croissance pour 2020 sont n¨¦gatives, au point que le Fonds mon¨¦taire international (FMI) anticipe une r¨¦cession ? au moins aussi grave ? qu¡¯il y a 12 ans, ? si ce n¡¯est pire ?.
Si la reprise est esp¨¦r¨¦e d¨¨s 2021, elle sera d¡¯autant plus forte que le coronavirus est ? arr¨ºt¨¦ rapidement ?, a indiqu¨¦ lundi la directrice g¨¦n¨¦rale du FMI, Kristalina Georgieva, ¨¤ l¡¯issue d¡¯une t¨¦l¨¦conf¨¦rence avec les ministres des finances et les gouverneurs des banques centrales du G20. Ce m¨ºme Groupe des Vingt avec lequel le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral de l¡¯ONU, Ant¨®nio Guterres, doit s¡¯entretenir virtuellement cette semaine, au niveau des dirigeants, avec comme mot d¡¯ordre la ? coordination ?.
? Nous avons besoin d'une coordination beaucoup plus forte ? et d¡¯une ? mobilisation massive ? des gouvernements, afin de ? s¡¯assurer que nous sommes en mesure de r¨¦pondre ¨¤ cette crise, non pas pour l¡¯att¨¦nuer mais pour la supprimer ?, tout en faisant face aux ? effets ¨¦conomiques et sociaux dramatiques de la maladie ?, a soulign¨¦ lundi M. Guterres lors d¡¯un ¨¦change avec des journalistes.
Des millions d¡¯emplois menac¨¦s
Du G20, le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral attend aussi une action centr¨¦e sur les personnes, et non, comme en 2008, une injection de capitaux dans le seul secteur financier. ? Cela implique des mesures de soutien salarial et de protection sociale, des mesures en mati¨¨re d¡¯assurances et des mesures visant ¨¤ pr¨¦venir les faillites et les pertes d¡¯emplois ?, expliquait-il le 19 mars, en souhaitant que la reprise ne se fasse pas ? sur le dos des plus pauvres ?.
En s¡¯appuyant sur diff¨¦rents sc¨¦narios de l¡¯impact de la COVID-19 sur la croissance ¨¦conomique mondiale, l¡¯Organisation international du travail (OIT) table aujourd¡¯hui sur une hausse du ch?mage mondial comprise entre 5,3 millions, dans le meilleur des cas, et 24,7 millions, dans la projection la plus pessimiste, contre 22 millions lors de la crise financi¨¨re de 2008.
Selon le , la baisse du nombre d¡¯emplois va aussi occasionner d¡¯importantes pertes de revenu pour les travailleurs. L¡¯¨¦tude les estime dans une fourchette allant de 860 milliards ¨¤ 3,4 billions de dollars d¡¯ici la fin 2020, ce qui se traduira par une chute de la consommation, et donc un impact pour l¡¯¨¦conomie. De plus, entre 8,8 et 35 millions de personnes suppl¨¦mentaires dans le monde se retrouveront en situation de travailleurs pauvres, compar¨¦ ¨¤ la baisse de 14 millions initialement envisag¨¦e pour 2020.
? En 2008, le monde avait pr¨¦sent¨¦ un front uni pour s¡¯attaquer aux cons¨¦quences de la crise financi¨¨re mondiale, et le pire avait pu ¨ºtre ¨¦vit¨¦ ?, constate Guy Ryder, Directeur g¨¦n¨¦ral de l¡¯OIT. ? Nous avons besoin de ce m¨ºme r?le moteur et de cette m¨ºme r¨¦solution ¨¤ l¡¯heure actuelle ?, dit-il en plaidant cette fois en faveur d¡¯un ¨¦largissement de la protection sociale, de mesures de maintien de l¡¯emploi (travail partiel, cong¨¦s pay¨¦s ou autres aides) ainsi que d¡¯un all¨¦gement fiscal et financier, y compris pour les microentreprises et les petites et moyennes entreprises.
Il n'y a rien d'in¨¦vitable dans tout cela. Tout d¨¦pend de notre capacit¨¦ ¨¤ mettre en place les bonnes r¨¦ponses politiques.
¡ª ONU Info (@ONUinfo)
, Directeur g¨¦n¨¦ral de l'OIT
Mettre la finance au service des droits de l¡¯homme
Cette crise affectant tout particuli¨¨rement les travailleurs ¨¤ bas salaire, ceux qui d¨¦pendent enti¨¨rement de l¡¯¨¦conomie informelle et les petites et moyennes entreprises, ? nous devons mettre directement des ressources dans les mains des gens ?, avance le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral, rejoint dans cette analyse par Juan Pablo Bohoslavsky, expert ind¨¦pendant des Nations Unies sur les effets de la dette ext¨¦rieure et les droits de l'homme.
De l¡¯avis de ce sp¨¦cialiste, la meilleure r¨¦ponse ¨¤ la catastrophe ¨¦conomique et sociale annonc¨¦e consiste ¨¤ ? mettre la finance au service des droits de l'homme ? et ¨¤ ? soutenir les moins nantis par des approches financi¨¨res audacieuses ?. C¡¯est pourquoi il appelle les gouvernements ¨¤ ? envisager l'instauration d'un revenu universel de toute urgence ?.
Il est ¨¦galement essentiel, selon lui, que les services publics soient ? fournis gratuitement ¨¤ ceux qui n'en ont pas les moyens ?. De m¨ºme, ? le service de la dette devrait ¨ºtre ? suspendu pour les personnes qui, autrement, ne seraient pas en mesure de faire face ¨¤ la crise de sant¨¦ publique ? et les expulsions ? absolument ¨¦vit¨¦es ?.
D¨¦non?ant les politiques de privatisation de services essentiels, comme les soins de sant¨¦, et de r¨¦ductions des co?ts prises ces derni¨¨res ann¨¦e par un nombre croissant de pays, l¡¯expert ind¨¦pendant juge que ? ces d¨¦veloppements doivent ¨ºtre invers¨¦s afin de permettre aux ?tats de relever les d¨¦fis en mati¨¨re de droits de l'homme et de fiscalit¨¦ pos¨¦s par la crise de COVID-19 ?.
? Cette crise est l'occasion de r¨¦fl¨¦chir et de renverser l'id¨¦ologie selon laquelle la croissance ¨¦conomique est la seule voie ¨¤ suivre ?, note M. Bohoslavsky. ? En particulier, elle nous invite ¨¤ remettre en question et ¨¤ modifier nos modes de consommation et nos comportements, si nous voulons vraiment garantir la pleine jouissance des droits de l'homme par tous et prot¨¦ger l'environnement ?.
Des pays beaucoup moins arm¨¦s que d¡¯autres
Ant¨®nio Guterres consid¨¨re quant ¨¤ lui qu¡¯il est temps de ? passer ¨¤ l¡¯¨¦tape suivante ? en faisant en sorte qu¡¯une aide soit aussi apport¨¦e aux pays ? les moins arm¨¦s face ¨¤ la crise ?. Un avis que partage Alicia B¨¢rcena, secr¨¦taire ex¨¦cutive de la Commission ¨¦conomique pour l¡¯Am¨¦rique latine et les Cara?bes (CEPALC), laquelle redoute pour cette r¨¦gion - encore mod¨¦r¨¦ment frapp¨¦e par la COVID-19 - une contraction du Produit int¨¦rieur brut (PIB) de 1,8% et une progression du ch?mage pouvant atteindre 10%.
? Ces chiffres pourraient contribuer ¨¤ l¡¯augmentation du nombre de pauvres dans la r¨¦gion, qui passerait de 185 millions actuellement ¨¤ environ 220 millions, sur un total de 620 millions d'habitants ?, a-t-elle averti lors d¡¯une r¨¦cente vid¨¦oconf¨¦rence. Dans le m¨ºme temps, le total des personnes vivant dans l'extr¨ºme pauvret¨¦ gonflerait de 67,4 millions ¨¤ 90 millions ¨¤ l¡¯¨¦chelle r¨¦gionale.
Dans l¡¯imm¨¦diat, le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral de l¡¯ONU milite pour une r¨¦duction maximale des frais d¡¯envoi de fonds, ? moyen de survie dans le monde en d¨¦veloppement ?. Si de nombreux pays se sont engag¨¦s ¨¤ les ramener ¨¤ 3%, ? la crise nous oblige ¨¤ aller plus loin encore et ¨¤ nous rapprocher autant que possible de z¨¦ro ?. Par ailleurs, alors que le G20 maintient ses taux d¡¯int¨¦r¨ºt au plus bas, ? nous devons faire de m¨ºme pour les pays les plus vuln¨¦rables du village plan¨¦taire et all¨¦ger le fardeau de leur dette ?, plaide-t-il en exhortant le FMI et la Banque mondiale ¨¤ ? offrir des facilit¨¦s financi¨¨res suffisantes aux pays en difficult¨¦ ?.
Fustigeant la ? tentation du protectionnisme ?, M. Guterres estime que ? l¡¯heure est venue de d¨¦manteler les barri¨¨res commerciales et de r¨¦tablir les cha?nes d¡¯approvisionnement ?. L¡¯appel est repris ¨¤ son compte par Manuel Albaladejo, repr¨¦sentant pour l¡¯Am¨¦rique latine de l¡¯Organisation des Nations Unies pour le d¨¦veloppement industriel (ONUDI), pour qui ? les ¨¦conomies mondialis¨¦es sont plus fragiles que nous le pensons ?, comme le montrent les p¨¦nuries actuelles en produits de sant¨¦.
Face ¨¤ cette crise sanitaire aux graves cons¨¦quences ¨¦conomiques et sociales, ? aucun pays ne sera en mesure de lutter sans coop¨¦ration mondiale et r¨¦gionale ?, confirme Alicia B¨¢rcena. ? Une plus grande int¨¦gration est n¨¦cessaire. Et sans aucun doute, nous devons aller vers davantage de coordination ?.