Tout au long de ma carri¨¨re, j¡¯ai eu le privil¨¨ge de venir en aide ¨¤ de nombreuses victimes de crimes odieux, notamment ¨¤ des victimes de disparition forc¨¦e. Les r¨¦cits de leurs exp¨¦riences sont souvent tr¨¨s ¨¦mouvants, et leur souffrance semble les placer sur un plan diff¨¦rent de celui des autres personnes. Cela?leur permet de s¡¯¨¦lever avec une tr¨¨s grande dignit¨¦ au-dessus des outrages perp¨¦tr¨¦s contre elles et leurs proches, luttant sans fin pour la v¨¦rit¨¦ et la justice avec une patience et une persistance enviables.
De nombreux mythes sont cr¨¦¨¦s autour des personnes qui recherchent des victimes de disparition forc¨¦e et de leurs motivations. Jusqu¡¯¨¤ pr¨¦sent, je n¡¯ai jamais rencontr¨¦ de victime anim¨¦e par un d¨¦sir de vengeance, m¨ºme si je dois admettre en avoir connu certaines qui aspiraient l¨¦gitimement ¨¤ ¨ºtre indemnis¨¦es. Le plus souvent, j¡¯ai constat¨¦ que, g¨¦n¨¦ralement, elles voulaient que justice soit faite et que la v¨¦rit¨¦ soit dite publiquement; que leur dignit¨¦, leur nom ainsi que celui de leurs proches soient r¨¦tablis et que les situations horribles qu¡¯elles ont v¨¦cues servent d¡¯exemple et de moyen pour ¨¦radiquer ce fl¨¦au dans nos soci¨¦t¨¦s.?
En raison de la curiosit¨¦ morbide inh¨¦rente aux ¨ºtres humains concernant les violations des droits de l¡¯homme et, en particulier, les disparitions forc¨¦es, l¡¯attention de l¡¯ensemble de la soci¨¦t¨¦ et des m¨¦dias a tendance ¨¤ se focaliser sur ??les personnes disparues??. Cependant, une r¨¦alisation remarquable de la a ¨¦t¨¦ d¡¯¨¦largir la notion de victime pour inclure toute personne ayant subi un pr¨¦judice r¨¦sultant directement d¡¯une disparition forc¨¦e, m¨ºme si elle n¡¯est pas un parent de la personne disparue. Cette reconnaissance formelle de ces autres victimes ne signifie pas pour autant que les ?tats accordent une attention appropri¨¦e aux besoins et aux attentes de ces victimes, en particulier ¨¤ leur besoin imp¨¦rieux de retrouver leurs proches en vie.
Les violations flagrantes des droits de l¡¯homme, comme les disparitions forc¨¦es, peuvent laisser chez leurs victimes des cicatrices durables, ¨¤ la fois psychologiques et physiques. Elles perdent le sens de la r¨¦alit¨¦, la confiance dans leur capacit¨¦ ¨¤ ¨¦valuer la s¨¦curit¨¦ de leur environnement et ne croient plus en un monde rationnel et compr¨¦hensible. C¡¯est pourquoi la reconnaissance par l¡¯?tat des droits des victimes, de leurs exp¨¦riences et de leur dignit¨¦ devrait att¨¦nuer les effets traumatiques des violations des droits de l¡¯homme en r¨¦tablissant un sentiment de s¨¦curit¨¦ personnelle ainsi que la confiance dans les institutions de l¡¯?tat, en d¨¦couvrant la r¨¦alit¨¦ et en aidant les personnes concern¨¦es ¨¤ rompre le silence.
Les victimes attachent une importance consid¨¦rable aux actions de l¡¯?tat qui reconnaissent leur condition, car elles sont souvent confront¨¦es au d¨¦ni ou ¨¤ la mise en doute par les agents publics de ce qui s¡¯est pass¨¦. Dans certains cas, le statut de victime peut devenir un stigmate dans les relations sociales, transmettant une image n¨¦gative aux victimes elles-m¨ºmes. C¡¯est pourquoi certaines pr¨¦f¨¨rent ¨ºtre consid¨¦r¨¦es comme des ??survivants??, mettant ainsi en valeur leur capacit¨¦ de r¨¦silience et de r¨¦cup¨¦ration.
Au-del¨¤ du d¨¦bat juridique sur le concept de victime de disparition forc¨¦e ainsi que du manque de volont¨¦ politique dans de nombreuses situations pour faire respecter leurs droits, il est indiscutable, et on ne peut plus logique, que les proches souffrent autant, et parfois plus, que les personnes qui ne sont plus l¨¤; comme il est dans la nature humaine d¡¯¨¦prouver une immense douleur lors de la perte d¡¯un ¨ºtre cher de mani¨¨re violente et inattendue, aucune preuve n¡¯est n¨¦cessaire pour arriver ¨¤ cette conclusion. Une disparition forc¨¦e repr¨¦sente ¨¦galement une atteinte aux valeurs qui sont tr¨¨s importantes pour les individus et change les conditions de vie des proches si la personne disparue leur apportait un soutien dans leur vie quotidienne. Leur vie est donc ¨¦galement affect¨¦e par cette activit¨¦ criminelle. Dans d¡¯autres cas, la peur de repr¨¦sailles ou pire, comme la violation des droits de l¡¯homme commises ¨¤ leur encontre pour avoir particip¨¦ aux efforts de recherche ou demand¨¦ justice, oblige ces autres victimes ¨¤ se s¨¦parer, ¨¤ se d¨¦placer de force ou ¨¤ s¡¯exiler.?
? ce type de souffrances s¡¯ajoute un sentiment d¡¯impuissance qui peut na?tre de l¡¯absence de r¨¦sultats dans les processus de recherche et d¡¯enqu¨ºte. Comme la l¡¯a soulign¨¦ dans plusieurs d¨¦cisions, le fait que, g¨¦n¨¦ralement, les autorit¨¦s ne soient pas en mesure de d¨¦couvrir la v¨¦rit¨¦ concernant les violations des droits de l¡¯homme de cette gravit¨¦ peut provoquer une souffrance et une angoisse intenses chez ces victimes, ainsi que des sentiments d¡¯ins¨¦curit¨¦, de frustration et d¡¯impuissance.
Il est donc essentiel de s¡¯assurer que ces autres victimes de disparition forc¨¦e jouent un r?le actif pour lutter contre cette activit¨¦ criminelle. Depuis pr¨¨s de quatre d¨¦cennies, les organes cr¨¦¨¦s en vertu des instruments internationaux relatifs aux droits de l¡¯homme reconnaissent qu¡¯il est important de faire participer les victimes, si elles le souhaitent, aux processus de recherche et d¡¯enqu¨ºte; d¡¯exiger des r¨¦parations appropri¨¦es pour le pr¨¦judice qui leur a ¨¦t¨¦ caus¨¦; de conna?tre la v¨¦rit¨¦ sur ce qui s¡¯est pass¨¦, sans ambigu?t¨¦; et d¡¯¨ºtre reconnues et de s¡¯assurer que leurs?droits, leurs int¨¦r¨ºts et leurs attentes soient pris en compte dans les d¨¦cisions politiques adopt¨¦es par les ?tats pour lutter contre ce fl¨¦au.
En cette Journ¨¦e internationale des victimes de disparition forc¨¦e, en plus de nous souvenir des personnes disparues, pensons ¨¤ ces personnes qui inspirent par leur t¨¦nacit¨¦; celles qui ne baissent pas les bras, n¡¯abandonnent pas jusqu¡¯¨¤ ce que leurs proches soient retrouv¨¦s; celles qui, chaque jour, continuent de souffrir lors d¡¯un deuil qui n¡¯en finit pas, car pour y mettre fin, il faut parvenir ¨¤ la v¨¦rit¨¦ et ¨¤ la justice. Disons-leur que l¡¯heure de la v¨¦rit¨¦, de la justice et de la r¨¦paration est proche; que le d¨¦sespoir, les craintes et l¡¯abandon auxquels elles sont injustement confront¨¦es prendront bient?t fin; qu¡¯elles sont, pour nous, une source d¡¯inspiration et, qu¡¯en tant que soci¨¦t¨¦ mondiale, nous sommes fiers du r?le qu¡¯elles ont jou¨¦ dans cette lutte, r?le qui a ¨¦t¨¦ d¨¦terminant pour les rendre visibles dans le monde entier et pour r¨¦aliser le peu que nous avons fait jusqu¡¯ici.
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