5 mai 2015

En septembre 2015, les Chefs d’?tat se réuniront lors de l’Assemblée générale des Nations Unies pour adopter un ensemble d’objectifs de développement durable (ODD). La première cible du premier?ODD proposé par le Groupe de travail ouvert (GTO) des ?tats Membres est ? l’élimination totale de l’extrême pauvreté dans le monde entier ? d’ici à 2030. Le deuxième cible est la réduction d’au moins de moitié de la proportion de pauvres selon les définitions nationales. Ce sont des cibles nobles et historiques pour le progrès mondial – elles méritent d’être en tête de liste. En même temps, elles illustrent certaines questions touchant à un grand nombre des 169 cibles de développement proposées par le GTO, par exemple comment mesurer ces cibles et dans quelle mesure sont-elles plausibles ?

Ces deux questions sont liées. La manière dont nous relèverons les défis de la mesure aura un profond impact sur leur force mobilisatrice et influera sur la probabilité que ces cibles seront atteintes. Les seuils de pauvreté aux niveaux national et local sont fréquemment revus à la hausse, et pour de bonnes raisons. Cette démarche, cependant, présente le risque que les progrès réguliers dans le domaine du développement ne favoriseront pas la réduction de la pauvreté, tout simplement parce que le seuil de pauvreté évolue aussi.

Comme l’a suggéré le GTO, l’extrême pauvreté est ? actuellement mesurée par le nombre de personnes vivant avec moins de 1,25 de dollar par jour ?, bien qu’il soit peu probable que ce soit le cas très longtemps. Le seuil d’extrême pauvreté ? officiel ? et le nombre de personnes vivant en dessous sont calculés par un petit groupe de personnes (bien intentionnées) à la Banque mondiale. Il travaille sur une révision qui pourrait avoir un effet considérable sur le chiffre relatif à la consommation en dollars, déclaré en tant que ? seuil d’extrême pauvreté ?, ainsi que le nombre de personnes vivant sous ce seuil.

Par le passé, le seuil international d’extrême pauvreté était établi par la Banque mondiale pour refléter la valeur des seuils nationaux de pauvreté dans les pays les plus pauvres du monde. En 1990, le seuil de pauvreté initial d’? un dollar par jour ? concernait les ? pays à faible revenu1 ?. En 2008, il a été relevé pour correspondre au seuil national de pauvreté moyen disponible des 15 pays les plus pauvres du monde, converti à un taux de change con?u pour refléter la différence de prix des mêmes biens et services dans différents pays.

La Banque mondiale est sur le point de proposer un nouveau seuil de pauvreté et d’autres statistiques sur la pauvreté fondés sur des nationaux seuils de pauvreté plus récents ainsi que sur des données issues d’une enquête mondiale sur les prix réalisée en 2011. Lorsqu’elle publiera ces chiffres – un processus qui a précédemment pris jusqu’à deux ans – le seuil international d’extrême pauvreté pourrait être de 1,75 dollar ou plus. De nouvelles données semblent indiquer, toutefois, que les prix des biens dans les pays pauvres sont inférieurs à ce que nous pensions. Cela peut suggérer une réduction considérable du nombre de pauvres – d’au moins un tiers (passant de 1,2 milliard en 2010, un chiffre fondé sur d’anciennes données sur les prix et le seuil de pauvreté, à moins de 900 millions, un chiffre calculé en utilisant les nouvelles données fournies par l’Institut Brookings).

Une chose est claire : si nous voulons ? l’élimination totale, d’ici à 2030, de l’extrême pauvreté dans le monde entier ?, nous devrons adopter une approche entièrement différente de celle utilisée auparavant par la Banque mondiale pour en établir le seuil à l’échelle planétaire.

Imaginons que nous sommes en 2030. Quelle est la probabilité que les seuils nationaux de pauvreté des 15 pays les plus pauvres du monde soient fixés à un niveau inférieur à la consommation de leurs citoyens les plus pauvres ? Ils ne devraient pas être aussi bas. L’idée que les pays, dont le revenu moyen continuera d’être une fraction de celui des plus pauvres en Europe ou aux ?tats-Unis d’Amérique aujourd’hui, déclareraient qu’ils n’ont pas de pauvres est simplement ridicule. Selon la définition internationale de l’extrême pauvreté fondée sur les seuils nationaux de pauvreté les plus récents d’un certain nombre de pays, il y aura toujours des pauvres dans le monde – y compris tous ceux vivant dans la pauvreté selon la définition nationale dans les pays utilisés pour fixer le seuil international d’? extrême pauvreté ?. Cela semble indiquer qu’un objectif de ? pauvreté zéro ?, fixé selon la méthodologie actuelle de la Banque mondiale, ne pourrait jamais être réalisé.

Si nous voulons établir un objectif zéro pour la pauvreté dans le monde dans le programme de développement pour l’après-2015, il faut que cet objectif soit absolu et non pas relatif aux seuils nationaux de pauvreté et que l’établissement du nouveau seuil international de pauvreté soit ouvert, transparent et participatif. Pendant des années, la Banque mondiale a tenu secrètes les données qu’elle utilise pour mesurer les niveaux internationaux des revenus et de la consommation. Elle décide quand et comment incorporer les données provenant d’enquêtes sur les revenus et les prix et choisit aussi la méthode de calcul du seuil de pauvreté. Dans le cadre de l’établissement des objectifs de développement durable et de la révolution des données qui doit être au centre de ce processus, les pauvres du monde et les gouvernements des pays en développement ne devraient-ils pas être consultés pour définir ? ce qu’est la pauvreté ? ? Le processus est également urgent : les objectifs seront établis en septembre 2015.

Pourrions-nous atteindre une cible afin d’éradiquer la pauvreté absolue en dessous d’un certain seuil de pauvreté ? Cela dépend du niveau auquel il est établi. Nombre d’analystes, toutefois, ont tenté de calculer la probabilité d’annuler le seuil de pauvreté établi à 1,25? dollar par jour à l’aide d’anciens prix et d’anciennes statistiques de la pauvreté. Si les pays les plus pauvres enregistraient une forte croissance au cours des 15 prochaines années et voyaient les inégalités diminuer rapidement, seulement 2 % de la population du monde en développement vivrait probablement en dessous du seuil de pauvreté de 1,25 dollar par jour d’ici à 2030. Il est bien s?r beaucoup trop optimiste de prédire que chaque pays pauvre conna?tra une croissance et une diminution rapides des inégalités au cours des 15 prochaines années – certains seront victimes d’une mauvaise gouvernance, de la faiblesse des cours des produits de base ou de troubles civils qui entravent tout progrès. Le chiffre réel sera donc considérablement plus élevé.

On pourrait réduire cet écart par des transferts – en donnant de l’argent aux familles dont le revenu moyen est inférieur au seuil de 1,25 dollar. La définition de la pauvreté, toutefois, évolue rapidement en fonction des saisons, de l’accès aux soins de santé, de l’escalade de la violence ou simplement de la malchance. Au lieu des enquêtes représentatives actuellement réalisées à quelques années d’intervalle, le maintien du niveau de consommation mondiale à 1,25 dollar nécessiterait de nombreuses enquêtes annuelles couvrant l’ensemble de la population mondiale à risque.

Au lieu d’un programme précisément ciblé, il serait plus judicieux de mettre en place un programme offrant un soutien à un plus grand nombre de personnes pouvant tomber en dessous du seuil de pauvreté de 1,25 dollar par jour. Mais, évidemment, cela co?te- rait plus cher. Il nous faudrait alors trouver un moyen de transférer l’argent : les services bancaires mobiles se sont rapidement développés, mais la majorité des très pauvres du monde n’y ont toujours pas accès. Cela ne veut pas dire qu’il est impossible de mettre fin à l’extrême pauvreté d’ici à 2030, mais cela nécessitera un effort immense. En effet, nous n’avons pas, jusqu’à ce jour, convenu d’une définition de ? l’extrême pauvreté ? que nous pourrions éradiquer.

En même temps, nous faisons face à un défi similaire, mais moins grave, avec la deuxième cible visant à réduire d’au moins de moitié la proportion de personnes vivant dans la pauvreté dans chaque pays selon les définitions nationales. La manière dont ces chiffres sont calculés varie considérablement selon les pays. Aux ?tats-Unis, par exemple, il est calculé sur le même revenu (ajusté à l’inflation) au fil des années. Dans de nombreux autres pays, cependant, le seuil de pauvreté est explicitement ou implicitement un seuil relatif. Les revenus moyens augmentent, de même que le revenu au-dessous duquel les personnes sont considérées comme pauvres. Dans ces pays, la réduction de moitié de la proportion de personnes vivant dans la pauvreté ne peut être réalisée que par une réduction radicale des inégalités.

Ce n’est pas une mauvaise chose en soi, les inégalités augmentant dans les pays du monde entier, et nous devrions inverser la tendance. Nous avons toutefois du travail devant nous pour montrer que la réduction des inégalités requise pour réduire de moitié le nombre de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté relatif est plausible dans la plupart des pays (ou même dans nombreux pays). Nous aimerions aussi que les ODD encouragent à ? abaisser le niveau ? des seuils nationaux de pauvreté, ce qui permettrait aux pays d’atteindre la cible des ODD mentionnée ci-dessus en fixant leur seuil de pauvreté officiel à une plus faible proportion des revenus moyens au cours des années. Il s’agit de l’avantage potentiel que représente l’établissement d’une cible relative explicite au niveau des pays – réduisant de 25 % dans chaque pays l’écart entre les 40 % situés en bas de l’échelle et les 10 % situés en haut ou réduisant d’un tiers l’écart entre le revenu médian et le revenu moyen.

En ce qui concerne les deux premières cibles du premier objectif de développement durable, il reste beaucoup à faire avant septembre 2015. Avant d’établir l’objectif, nous devrions corriger les règles du jeu. ?

Notes

1??? Shaohua Chen et Martin Ravallion, ? The developing world is poorer than we thought, but no less successful in the fight against poverty ?. Dossier des politiques et documents de recherche n° 4703 (Washington, Banque mondiale, 2008). Disponible sur le site

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