L'Afrique a enregistr茅 une croissance 茅conomique remarquable au cours des 15 premi猫res ann茅es du XXIe si猫cle, en grande partie gr芒ce 脿 des tendances positives dans l'exportation de mati猫res premi猫res, entre autres facteurs. Toutefois, ce r茅cit de la "mont茅e de l'Afrique" a 茅t茅 fauss茅 d猫s le d茅part, car il s'est surtout concentr茅 sur la croissance 茅conomique bas茅e sur le produit int茅rieur brut (PIB), qui est trop unidimensionnel.
En fait, la croissance 茅conomique n'a pas engendr茅 l'inclusion sociale par la cr茅ation d'emplois, ne tirant ainsi pas profit du dividende d茅mographique de la jeunesse africaine. En outre, depuis les ann茅es 1970, la plupart des 脡tats africains ayant acc茅d茅 脿 l'ind茅pendance ont assimil茅 la gestion de la pauvret茅 au d茅veloppement, par opposition 脿 la transformation socio-茅conomique.
Le passage de l'industrialisation au d茅but de la p茅riode post-ind茅pendance 脿 l'accent mis actuellement sur la r茅duction de la pauvret茅 a largement contribu茅 au malaise 茅conomique du continent.
Pour g茅n茅rer une croissance 茅conomique ax茅e sur le d茅veloppement, l'Afrique doit maintenant se concentrer sur la conservation et la cr茅ation de richesses, une meilleure gestion de ses ressources, la promotion de l'int茅gration, la progression dans les cha卯nes de valeur mondiales (CVM), la diversification de ses 茅conomies, l'optimisation du bouquet 茅nerg茅tique et la mise du capital humain au centre de l'茅laboration des politiques. Pour ce faire, l'茅laboration des politiques africaines doit 锚tre relanc茅e par l'innovation.
Adopter les technologies num茅riques
Pour relever les innombrables d茅fis auxquels l'Afrique est confront茅e dans les domaines de la s茅curit茅 alimentaire, de l'茅ducation, de la sant茅 et de l'茅nergie, ainsi que pour combler la fracture num茅rique, il est essentiel que les d茅cideurs africains exploitent l'innovation et le potentiel apport茅 par les technologies num茅riques. Cela sera crucial pour le redressement du continent apr猫s la pand茅mie actuelle de la COVID-19.
Les technologies num茅riques ont 茅t茅 脿 l'avant-garde de la lutte contre la crise sanitaire en suivant le virus, ainsi que contre la crise socio-茅conomique en assurant la continuit茅 dans les domaines de l'茅ducation, des affaires et de la famille. Malheureusement, la fracture num茅rique n'a pas permis 脿 l'Afrique de profiter pleinement de cette opportunit茅, avec seulement 28% de la population utilisant l'internet.
Outre la connectivit茅 脿 l'internet, les 茅l茅ments de base tels que l'acc猫s 脿 l'茅lectricit茅, l'alphab茅tisation, la s茅curit茅 alimentaire, l'inclusion financi猫re et les cadres r茅glementaires requis font d茅faut, entra卯nant l'incapacit茅 de la population 脿 utiliser les solutions num茅riques disponibles.
La pand茅mie COVID-19 a accentu茅 les in茅galit茅s existantes au-del脿 de la fracture num茅rique. Alors que des millions de personnes en Afrique sont incapables de se connecter 脿 l'internet, un nombre encore plus important n'a pas acc猫s 脿 l'茅lectricit茅, 脿 l'eau, 脿 l'茅ducation et aux services de sant茅, entre autres besoins fondamentaux. 听Ces millions de personnes sont tout simplement exclues parce qu'elles ont 茅t茅 laiss茅es pour compte.
脌 moins que les d茅cideurs politiques africains ne consid猫rent l'acc猫s aux technologies num茅riques comme un important outil d'inclusion socio-茅conomique, l'adoption de solutions num茅riques ne touchera que ceux qui ont l'茅lectricit茅 et l'acc猫s aux t茅l茅communications, renfor莽ant ainsi les in茅galit茅s existantes et creusant le foss茅 entre "les nantis et les d茅munis".
En outre, il est important d'茅viter une approche 茅troite lors de l'茅valuation de la fracture num茅rique, car celle-ci va au-del脿 de la mesure de l'acc猫s 脿 l'internet et inclut des aspects tels que l'infrastructure, les applications et les services. Tout aussi importants sont les avantages pour l'utilisateur, tels que la connectivit茅 sociale et le travail polyvalent, entre autres. 听
Il est extr锚mement difficile de saisir les opportunit茅s que toutes les crises dissimulent tr猫s subtilement. Mais les perspectives qu'offre la crise COVID-19 pour l'Afrique doivent 锚tre saisies. Dans une situation normale et dans un cadre de routines, il serait presque impossible de g茅n茅rer des perturbations aussi profondes que celles d茅clench茅es par la crise actuelle.
Selon McKinsey and Company, la crise COVID-19 "contient les germes d'une r茅imagination 脿 grande 茅chelle de la structure 茅conomique, des syst猫mes de prestation de services et du contrat social de l'Afrique. La crise acc茅l猫re les tendances telles que la num茅risation, la consolidation des march茅s et la coop茅ration r茅gionale, et cr茅e de nouvelles opportunit茅s importantes - par exemple, la promotion de l'industrie locale, la formalisation des petites entreprises et la mise 脿 niveau des infrastructures urbaines".
Pour faire face aux perturbations caus茅es par la pand茅mie et le retour 脿 une meilleure normalit茅, il faut que l'innovation, en particulier la technologie num茅rique, soit per莽ue comme une condition pr茅alable pour que l'Afrique puisse relever ses principaux d茅fis de d茅veloppement, tels que la pauvret茅, l'acc猫s limit茅 aux services de sant茅, l'ins茅curit茅 alimentaire, le changement climatique et la gouvernance. Elle est 茅galement essentielle pour am茅liorer la productivit茅, la comp茅titivit茅 et la diversification 茅conomique.
Surfant sur cette calamit茅, de jeunes Africains transforment la crise COVID-19 en une opportunit茅 de trouver des solutions num茅riques innovantes aux d茅fis pos茅s par la pand茅mie.
Parmi ces innovations, citons mSafari, une entreprise de mobilit茅 qui a mis en place une application de recherche des contacts pour les voyageurs, cr茅茅e par FabLab, un centre de technologies de l'information et de la communication (TIC) au Kenya ; Wiqaytna 6, une application cr茅茅e au Maroc qui notifie les personnes ayant 茅t茅 en contact avec des personnes dont les tests ont 茅t茅 positifs pour COVID-19 ; Global Mamas au Ghana, qui produit des masques r茅utilisables et a con莽u des stations de lavage des mains automatis茅es, sans contact et aliment茅es par l'茅nergie solaire, en utilisant des mat茅riaux d'origine locale.
Malgr茅 ces bons exemples, certains d茅fis restent 脿 relever. Les pays africains doivent combler le foss茅 socio-茅conomique qui alimente la fracture num茅rique. Si ce lien n'est pas rompu, il sera difficile de d茅bloquer la transformation structurelle. En outre, pour g茅n茅rer une croissance transformatrice en Afrique, la num茅risation doit 锚tre intensifi茅e.
Les cinq derni猫res ann茅es ont vu l'茅mergence d'une vague de changement en Afrique. Trois initiatives africaines indiquent que le continent pourrait s'approcher d'un saut qualitatif en mati猫re de croissance 茅conomique et de d茅veloppement :
- la cr茅ation de la Zone de libre-茅change continentale africaine (Zlecaf)听dans le but de cr茅er un march茅 unique devrait g茅n茅rer un PIB combin茅 de plus de 3,4 billions de dollars US et profiter 脿 plus d'un milliard de personnes ;
- la cr茅ation par le gouvernement sud-africain d'un nouveau Centre pour la quatri猫me r茅volution industrielle (C4IR) du Forum 茅conomique mondial (WEF), pour le dialogue et la coop茅ration sur les d茅fis et les opportunit茅s pr茅sent茅s par les technologies de pointe
- le lancement de l'Africa Growth Platform, une initiative du WEF qui vise 脿 aider les entreprises 脿 se d茅velopper et 脿 锚tre comp茅titives sur le plan international, en tirant parti du fait qu'en Afrique, l'activit茅 entrepreneuriale dans sa phase initiale est sup茅rieure de 13 % 脿 la moyenne mondiale.
鈥婥es initiatives, si elles sont mises en 艙uvre avec succ猫s, pourraient changer la donne et galvaniser les r茅sultats de la r茅volution num茅rique en Afrique.
La vague de changement est soutenue par deux dynamiques. Premi猫rement, l'approche ascendante o霉 le moteur de la transformation num茅rique se situe au niveau des entreprises et des communaut茅s ; et deuxi猫mement, l'approche descendante qui comprend l'intervention des pouvoirs publics dans la cr茅ation d'un environnement favorable par le biais de politiques et d'茅cosyst猫mes d'innovation.
En ce qui concerne l'approche ascendante, la vague de changement a 茅t茅 essentiellement men茅e par le secteur priv茅 et la soci茅t茅 civile. Plus de 400 p么les technologiques ont vu le jour sur le continent, sous l'impulsion des jeunes qui, malgr茅 les difficult茅s, r茅alisent 脿 quel point le travail ind茅pendant est li茅 脿 l'innovation. Trois de ces p么les, 脿 Lagos au Nigeria, 脿 Nairobi au Kenya et au Cap en Afrique du Sud, ont acquis une reconnaissance internationale.
En ce qui concerne l'approche descendante men茅e par les d茅cideurs politiques, le rapport du WEF "Readiness for the Future Production 2018" indique que sur les 25 pays africains analys茅s, 22 ont 茅t茅 class茅s comme ayant un faible niveau de pr茅paration, ce qui refl猫te l'absence de politiques publiques ax茅es sur la cr茅ation d'un 茅cosyst猫me pour l'innovation.
Dans ce contexte, il est temps de reconna卯tre que l'investissement dans une num茅risation 脿 grande 茅chelle, sur le plan g茅ographique et sectoriel, est devenu un facteur cl茅 de succ猫s pour relever non seulement les d茅fis socio-茅conomiques, mais aussi ceux li茅s 脿 la paix et 脿 la s茅curit茅, afin de d茅bloquer le d茅veloppement et la croissance 茅conomique.
Une 茅tude de l'Union internationale des t茅l茅communications (UIT) sur la contribution 茅conomique du haut d茅bit, de la num茅risation et des TIC a estim茅 qu'une augmentation de 10 % de la p茅n茅tration du haut d茅bit mobile en Afrique entra卯nerait une augmentation de 2,5 % du PIB par habitant.
Les technologies num茅riques, d没ment int茅gr茅es dans un 茅cosyst猫me d'innovation, sont devenues cruciales pour l'茅laboration des politiques en Afrique. 听Il s'agit d'une question urgente, et les priorit茅s doivent inclure des cadres r茅glementaires bien calibr茅s, des investissements dans les infrastructures, les comp茅tences num茅riques et l'inclusion financi猫re.
Si l'adoption massive des technologies num茅riques est in茅vitable pour relever les d茅fis socio-茅conomiques auxquels l'Afrique est confront茅e, elle pr茅sente n茅anmoins quelques inconv茅nients. De meilleures TIC d茅mocratisent des informations cruciales pour les agents de production et de march茅, en am茅liorant l'efficacit茅 des cha卯nes de valeur et en fournissant des produits et services plus abordables, qui finissent par atteindre la partie la plus vuln茅rable de la population.
Cependant, les d茅cideurs politiques doivent 茅galement 锚tre conscients des probl猫mes socio-茅thiques complexes qui en r茅sultent, en particulier en Afrique o霉 des institutions faibles pourraient 锚tre mal 茅quip茅es pour g茅rer la vie priv茅e, les donn茅es, le contr么le endog猫ne et la fraude fiscale exacerb茅e par l'茅conomie immat茅rielle.
C'est l脿 que l'objectif de d茅veloppement durable (ODD) 16, qui se concentre sur la promotion de soci茅t茅s justes, pacifiques et inclusives, et sur le r么le de la mise en place d'institutions fortes, appara卯t comme un moyen d'att茅nuer les contraintes sur le transfert de technologie associ茅es 脿 l'utilisation abusive des droits de propri茅t茅 intellectuelle.
Mme Duarte est la Conseill猫re sp茅ciale pour l'Afrique aupr猫s du Secr茅taire g茅n茅ral des Nations Unies
