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« La pression des pairs peut être décisive »

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« La pression des pairs peut être décisive »

Amos Sawyer, membre du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs
Africa Renewal
Afrique Renouveau: 
Africa Renewal / John Gillespie
NEPAD's Richard MkandawireSelon Amos Sawyer, il faut encourager et soutenir la société civile.
Photo : Africa Renewal / John Gillespie

En 2003, le plan de développement du continent africain, connu sous le nom de Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), a institué le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (MAEP). À ce jours, 30 pays y ont volontairement adhéré. L’exercice consiste en un examen de la gouvernance du pays volontaire par le biais de consultations nationales et de discussions incluant notamment des chefs d’Ėtat africains. Comment fonctionne ce mécanisme ? Quels sont les défis qu’il doit relever ? Amos Sawyer est l’un des membres du Groupe de personnalités éminentes du MAEP. Il a été Président intérimaire du Libéria (de 1990 à 1994) et préside actuellement la Commission libérienne de gouvernance. Il répond aux questions d’Ernest Harsch, d’Afrique Renouveau.

Depuis la vague de démocratisation des années 1990, plusieurs initiatives ont été lancées en Afrique en matière de gouvernance. Quelle est la singularité du Mécanisme d’évaluation par les pairs ?

Il propose plusieurs choses qui lui sont propres : en premier lieu, c’est un mécanisme d’auto-évaluation du pays par lui-même à tous les niveaux (gouvernement, société civile, monde des affaires). Ensuite, c’est une évaluation par des pairs, mise en œuvre par les gouvernements eux-mêmes. Des pairs venus de l’extérieur s’installent autour d’une table avec les dirigeants du pays. Cet engagement implique que la critique soit constructive et qu’elle soit illustrée par de bonnes pratiques. Mais cela ne s’arrête pas là. Un programme d’action est formulé et le chef d’Ėtat du pays évalué a l’obligation de revenir vers ses collègues, tous les deux ans, pour faire un état des lieux des progrès réalisés.

Ce processus est lent. Il est non conflictuel. Mais le pays qui s’en sert à bon escient s’ouvre des portes qui permettront à la communauté internationale de soutenir ses programmes de développement. Et il renforce son système de gouvernance, car dans sa méthodologie même, ce processus oblige les pays à engager un dialogue avec leurs citoyens.

Ce processus est-il une mise en pratique de l’esprit de la déclaration d’Arusha de 1990 ?*

Oui. La conférence de 1990 sur la participation populaire faisait appel à une mobilisation du potentiel humain dans le processus de développement, afin que les syndicats ou les groupements d’exploitants agricoles participent à la gouvernance. Il faut aller au-delà de la pensée qui se préoccupe seulement du « gouvernement » pour penser en termes de « gouvernance », ce qui permet de faire interagir différentes catégories de citoyens. L’évaluation par les pairs offre une mise en œuvre pratique de ces différents aspects.

Dans le Groupe de personnalités éminentes du MAEP, plusieurs personnes viennent de la société civile, mais au final le processus se conclut par l’approbation des chefs d’État africains. N’y voyez-vous pas un risque de tension ?

Oui et de fait nous y travaillons. L’un des problèmes soulevés par les groupes qui représentent la société civile en Afrique est que le processus d’évaluation au niveau des chefs d’État devrait soit se faire avec la participation de la société civile, soit laisser la place à un processus concurrent qui permettrait à la société civile de fournir ses propres conclusions sur le rapport. Je ne serai pas étonné que les choses changent à l’avenir.

Dans certains pays les groupes 
de la société civile ont dénoncé le fait que ceux qui ont été autorisés à participer à l’évaluation par les pairs étaient pour l’essentiel approuvés par le gouvernement.

Les situations sont diverses. Dans certains pays, la société civile est bien organisée et est présente sur la scène politique. Dans d’autres, elle n’a pas voix au chapitre. Nous disons qu’il faut assurer sa participation au processus politique.

NEPAD's Richard MkandawireUn policier des forces anti-émeute lors des violences postélectorales au Kenya. Si le pays avait suivi les recommandations du MAEP, de telles violences auraient pu être évitées.
Photo : Alamy Images / George Philipas

Le Libéria, votre pays, est le dernier en date à avoir accédé au MAEP. Les pays qui sortent d’un conflit ont-ils besoin de temps pour s’adapter avant qu’une évaluation par les pairs puisse leur servir ?

Pour le Libéria, le moment est bien choisi. Un pays qui sort d’un conflit doit d’abord mettre de l’ordre dans ses institutions. Or lorsque de nouvelles institutions sont mises en place, c’est aussi une bonne chose qu’elles soient conformes aux normes requises par le MAEP. Les instances législatives, par exemple, ne doivent pas être soumises au contrôle du pouvoir exécutif. Les législateurs doivent prendre au sérieux leurs responsabilités envers les électeurs. Le pouvoir judiciaire doit être indépendant, disposer de financements adéquats, et être accessible. L’évaluation par les pairs peut aider.

Comment savoir si le MAEP a eu un impact ?

Malheureusement, nous savons assez vite quand le MAEP n’est pas pris en compte ! Lors de l’évaluation du Kenya en 2006, quatre ou cinq points critiques avaient été soulevés et ignorés... On s’en est souvenu en 2007-2008, lors des violences électorales. Aujourd’hui, depuis la présidence jusqu’à la société civile, tout le monde affirme que si les conclusions du rapport avait été suivies, un grand nombre de ces problèmes auraient pu être évités.

En Afrique du Sud, nous avions soulevé le problème de la xénophobie. Je n’étais pas membre du groupe, j’étais seulement consultant pour la préparation du rapport. Initialement, le gouvernement sud-africain était dans le déni et sur plusieurs points de désaccord il estimait que nous nous trompions. Mais le membre du groupe chargé du processus a défendu le rapport, qui a donc été validé. L’Afrique du Sud a finalement décidé de s’occuper du problème de la xénophobie, malheureusement après la flambée de violence de 2008.

Trente pays ont accédé au MAEP, mais seuls quelques-uns ont fait l’objet d’une évaluation complète. Pourquoi ?

Trente pays ont accédé au MAEP et 14 ont fait l’objet d’une évaluation. Deux autres évaluations sont en cours, et en janvier ces deux dernières évaluations seront terminées. Un autre pays, la Tanzanie, a invité la commission à intervenir, ce qui sera fait. Apparemment, le Gabon, la République du Congo et le Libéria s’y préparent eux aussi. Il y a donc encore un nombre important de pays à traiter, au moins 10.

Nous avons récemment décidé d’une stratégie visant à encourager les pays qui hésitent à participer au processus. Nous avons planifié plusieurs visites qui doivent nous permettre de voir comment nous pouvons les persuader d’avancer dans leur participation au processus d’évaluation par les pairs. Nous encourageons les dirigeants africains à rejoindre leurs collègues et pour ma part, je pense que la pression des pairs peut être bien plus décisive que beaucoup d’autres types de pression.

Je sais bien que cette idée d’une évaluation par les pairs s’inscrit dans le contexte d’une Afrique où certains dirigeants sont considérés comme autoritaires, et d’autres comme corrompus. Si l’on ne peut nier certains aspects, il me semble que l’idée qui consiste à faire participer les dirigeants africains eux-mêmes à un tel processus a beaucoup de mérite. Elle peut produire des résultats significatifs, bénéfiques pour l’Afrique. Nous devons encourager ce processus. Nous devons encourager et renforcer les sociétés civiles afin qu’elles deviennent des acteurs déterminants de ce processus. C’est ainsi que nous construirons nos systèmes et nos gouvernements démocratiques.

*La Charte africaine de la participation populaire au développement et à la transformation, connue sous le nom de Déclaration d’Arusha, a été adoptée lors d’une conférence de 500 représentants de la société civile africaine, des gouvernements, des bailleurs de fonds. La conférence était organisée par les Nations Unies à Arusha (Tanzanie) en février 1990.

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