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“Croissance et emploi ne vont pas de pair”

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“Croissance et emploi ne vont pas de pair”

Entretien avec le syndicaliste ghanéen Kwasi Adu-Amankwah
Africa Renewal
Afrique Renouveau: 
Reuters / Mike Hutchings
World Social Forum march in SenegalUne marche à l'ouverture du Forum social mondial à Dakar au Sénégal.
Photo: Forum social mondial / Creative Commons

Kwasi Adu-Amankwah, ancien patron de l'influente fédération du travail du Ghana, est depuis 2007 secrétaire général de la section Afrique de la Confédération syndicale internationale (CSI-Afrique), un mouvement ouvrier panafricain qui représente 16 millions de travailleurs dans 47 pays. Michael Fleshman d'Afrique Renouveau s'est entretenu avec lui le 8 février, à l'occasion du Forum social mondial — rassemblement annuel de groupes de la société civile — qui s'est déroulé à Dakar (Sénégal). M. Adu-Amankwah venait de mener une manifestation devant l'ambassade d'Égypte, en signe de soutien au mouvement pour la démocratie égyptien.

Pourquoi la CSI-Afrique est-elle présente au Forum social mondial ? Les syndicats, avec leurs nombreux adhérents, ne sont-ils pas différents des organisations non gouvernementales (ONG) et des groupes d'activistes majoritaires ici ?

La CSI-Afrique a toujours suivi le Forum social mondial. Cette manifestation propose d'autres solutions au monde dans lequel nous vivons. Nous sommes ici pour diffuser nos idées, mais aussi pour échanger avec la société civile du reste du monde.

Nos syndicats tendent la main aux ONG, même si celles-ci ne comptent pas d'adhérents. Les ONG thématiques ont acquis un savoir-faire considérable et les syndicats ne demandent qu'à s'en inspirer. Syndicats et ONG peuvent toujours trouver un moyen de travailler ensemble, en dépit de leurs divergences. Malgré l'impact considérable de leurs activités économiques sur la société, les syndicats ne parviennent pas à se faire connaître. Ils partent du principe qu'on les connaît. Les ONG, quant à elles, ne ménagent aucun effort pour se faire entendre.

Quel rôle jouent les syndicats africains dans les mouvements de réformes démocratiques et économiques qui agitent le continent?

Les syndicats ont activement participé à la lutte contre le colonialisme dans les années 1950 et 60. Le Ghana, le Nigéria, le Kenya et la Guinée en sont de bons exemples. De même en Afrique du Sud, en Namibie et au Zimbabwe à la fin des années 70 et 80. Ils ont également été présents lors de la seconde vague de revendications démocratiques [dans les années 90, ndlr].

Aujourd'hui l'Afrique s'ouvre aux investissements. À la veille de la crise financière mondiale, les taux de croissance y étaient encourageants, mais la plupart de nos syndicats ne se sont pas enthousiasmés. Pour la simple raison que cette croissance ne semble pas créer des emplois. Qui plus est, cette croissance touche surtout les activités d'extraction et de forage– minéraux et pétrole. Elle ne fait que confirmer le statut actuel des économies africaines, qui fournissent des matières premières aux marchés des pays développés pour stimuler leur industrialisation. Il n'y a pas de véritable valeur ajoutée à notre croissance. Les industries extractives ne stimulent pas le reste de l'économie.

Quel a été l'impact de la crise financière mondiale?

Dans les pays développés, les gens semblent préoccupés par un taux de chômage de 20%. En Afrique, nous y sommes habitués, le chômage est endémique. Parfois ce phénomène est occulté par ce qu'on appelle l'économie informelle. Ce type d'économie n'offre pas de protection sociale [allocation-chômage, assurance médicale et autres, ndlr] aux Africains. C'est en réalité du chômage qui ne dit pas son nom. Dans certains de nos pays, il atteint les 80%! Ce n'est qu'en Afrique du Sud et dans certaines régions de l'Afrique du Nord que la part du secteur salarial dépasse les 30 à 40%.

Le mouvement syndical s'efforce en général d'obtenir de meilleures conditions d'emploi pour nos adhérents, qui travaillent surtout dans le secteur économique formel. Mais depuis une décennie notre attention s'est portée sur un problème majeur, à savoir la structure des économies en place. Nous sommes persuadés qu'il est possible d'offrir un filet de sécurité sociale pour tous, compte tenu des ressources dont dispose notre planète.

Workers in South AfricaComme partout ailleurs sur le continent, les travailleurs en Afrique du Sud sont à la recherche d'emplois décents.
Photo: Reuters / Mike Hutchings

Comment créer des emplois en Afrique, compte tenu de l'impact conjugué du sous-développement et de la mondialisation?

D'une part, nous essayons d'aider nos adhérents à renforcer leurs capacités de recherche et d'action, à établir le dialogue avec leurs autorités nationales. D'autre part, nous nous inspirons de l'expérience de certains de nos syndicats, qui ont mis au point des alternatives au néo-libéralisme en Afrique australe (ANSA)*. Ils étudient actuellement dans différents pays les moyens permettant aux syndicats de mettre au point des alternatives, en coopération avec d'autres acteurs de la société civile.

Le néo-libéralisme est un terme utilisé pour décrire ce que certains considèrent comme des politiques de marché poussées à l'extrême — marchés financiers déréglementés, échanges illimités et élimination des filets de sécurité sociale publique. Quelles solutions de rechange proposent les syndicats africains?

C'est l'ANSA, justement. Le développement devrait d'abord viser les peuples, pas les marchés. L'affirmation de ce principe devrait se traduire par la mise en place de politiques de participation et de contrôle populaire des ressources, permettant aux gens de décider pour eux-mêmes. Toute la question de l'intégration de l'Afrique y est reliée. Il nous faut nous redéfinir par nos traits communs et mettre en place des systèmes de gouvernance facilitant l'harmonisation entre différentes régions du continent, avant de pouvoir nous mesurer au reste du monde.

Ces types de changements économiques ne sont-ils pas subordonnés à des bouleversements politiques?

Certainement. À l'aube de l'indépendance les puissances coloniales ont découpé nos régions en petits pays. Lors de la première vague d'indépendances nos dirigeants ont semblé s'en contenter, trop occupés à protéger leur nouvelle souveraineté. Cette situation continue à nous faire du tort. L'Afrique compte 54 petits pays, chacun disposant d'une certaine souveraineté. Il n'est pas possible de traiter avec le reste du monde dans ces conditions. Dans le même temps, le reste du monde nous voit comme une entité unique.

Il nous faut déférer de véritables pouvoirs à un mécanisme central, tout en préservant l'autonomie locale garante de notre diversité. Il est temps d'en finir avec les barrières artificielles qui nous séparent. Il faut réaménager nos existences pour pouvoir nous réaffirmer en tant qu'Africains. Cette étape franchie, personne ne pourra plus nous dicter ses conditions.

Mais pour en arriver là, la structure de l'État africain devra changer. La démocratie devra y être bien plus présente. Il faudra déléguer davantage de pouvoirs à la population pour qu'elle puisse décider pour elle-même. Tel est, à mon avis, le programme politique pour l'Afrique auquel nous pouvons apporter notre soutien, en tant que syndicats.

Les travaux du Forum social mondial ont pour thème "Un autre monde est possible". À votre avis, une autre Afrique est-elle possible?

Il n'y a qu'à voir la Tunisie et l'Égypte aujourd'hui. Ce sont des pays africains. Je dirais qu'une autre Afrique est en train de naître.     

* Alternatives au néo-libéralisme en Afrique australe (ANSA) est un programme politique et économique en 10 points qui entend offrir une alternative au modèle de développement préconisé par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Voir : .