1 ao?t 2009

Dans un site de construction couvert de poussi¨¨re situ¨¦ ¨¤ l'ouest de la Chine, M. Tan est un travailleur migrant parmi de nombreux autres. Mais cet ancien agriculteur modeste doit aussi faire face ¨¤ une s¨¦rie complexe de crises qui menacent la sant¨¦ mondiale.

D'un certain point de vue, cet homme de 24 ans est le symbole du succ¨¨s ¨¦conomique de la Chine et des mod¨¨les de croissance similaires dans d'autres pays en d¨¦veloppement au cours des derni¨¨res d¨¦cennies. Chaque ann¨¦e, 500 000 migrants chinois viennent travailler ¨¤ Chongqing, faisant ainsi de cette ville la plus grande du monde - et le plus grand site de construction - alimentant le moteur de croissance de la Chine, malgr¨¦ un certain ralentissement depuis la crise financi¨¨re mondiale. Les pr¨¦visions ¨¤ long terme sugg¨¨rent que 350 millions de villageois ruraux suppl¨¦mentaires convergeront vers les villes chinoises d'ici ¨¤ 2025 seulement, attir¨¦s par les nouvelles opportunit¨¦s ou contraints par la pauvret¨¦ et le manque de nourriture caus¨¦s en partie par des bouleversements climatiques.

Pour M. Tang, l'attraction de Chongqing c'est, selon lui, ? gagner de l'argent ?. Habitant dans une cabane plant¨¦e dans la poussi¨¨re de ciment fine et suffocante et entour¨¦e d'hectares de b¨¦ton et de gratte-ciel, M. Tan gagne 1 000 yans par mois, plus de dix fois ce qu'il gagnait ¨¤ la campagne et suffisamment pour survivre dans la ville et envoyer de l'argent chez lui au village. Son cas n'a rien d'exceptionnel.

Mais, sur le site o¨´ il travaille, on observe l'¨¦mergence d'un grand nombre de maladies les plus infectieuses au monde. Comme la r¨¦volution industrielle a eu des cons¨¦quences pour les millions de personnes qui ont quitt¨¦ la campagne pour aller travailler dans les villes industrielles en Europe et ont habit¨¦ dans des taudis, les emplois qui ont tir¨¦ les centaines de millions de la pauvret¨¦ extr¨ºme ¨¤ la fin du XXe et au d¨¦but du XXIe si¨¨cle ont ¨¦galement fait appara¨ªtre de nouveaux risques.

Pour les communaut¨¦s marginalis¨¦es du monde entier, la mondialisation ¨¦conomique se traduit souvent par l'instabilit¨¦ des emplois industriels et manuels itin¨¦rants, de nouvelles menaces toxicologiques et des risques d'accidents du travail. Dans les bidonvilles urbains, le manque d'installations sanitaires et de services associ¨¦ ¨¤ des conditions de vie difficiles o¨´ les ouvriers vivent entass¨¦s dans des dortoirs augmente les risques sanitaires et la vuln¨¦rabilit¨¦ aux maladies transmissibles.

De nouvelles menaces apparaissent, uniques ¨¤ notre temps. ? Chongqing, et dans de nombreuses autres villes similaires, nombre de travailleurs migrants sont abandonn¨¦s ¨¤ leur sort, loin des structures sociales rurales, pendant des mois et des ann¨¦es. L'¨¦rosion de la coh¨¦sion sociale favorise les comportements sexuels ¨¤ risque et la toxicomanie, ce qui compromet les gains ¨¦conomiques et favorise la transmission du VIH/SIDA et des infections graves comme la tuberculose r¨¦sistante aux m¨¦dicaments.

La plus grande mobilit¨¦ des populations gr?ce aux r¨¦seaux de transport modernes, la migration et le d¨¦placement forc¨¦ des populations favorisent la transmission de nombreuses maladies transmissibles - aux niveaux national et mondial - mettant en danger la sant¨¦ des personnes en d¨¦placement et augmentant le risque de pand¨¦mie.

Et ce, avant m¨ºme de consid¨¦rer les effets de la d¨¦gradation de l'environnement sur la sant¨¦ caus¨¦e par le d¨¦veloppement rapide. Dans les villes industrialis¨¦es, la pollution de l'air et de l'eau d¨¦passe r¨¦guli¨¨rement les seuils autoris¨¦s, ce qui expose des dizaines de millions de personnes ¨¤ des risques respiratoires et les contraint ¨¤ consacrer leurs maigres ressources ¨¤ l'achat d'eau potable. Dans de nombreuses r¨¦gions rurales pauvres, la d¨¦forestation et l'¨¦puisement des ressources a entra¨ªn¨¦ l'¨¦rosion des sols, la p¨¦nurie d'eau et la contamination des eaux.

LA PLUS GRANDE MENACE

Moins apparent, le changement climatique constitue peut-¨ºtre la plus grande menace de ce si¨¨cle. Il ne s'agit plus d'une id¨¦e abstraite. Nous savons que les variations climatiques, en particulier les s¨¦cheresses et les inondations qui perturbent l'agriculture et les ph¨¦nom¨¨nes climatiques extr¨ºmes qui provoquent des d¨¦g?ts ¨¤ l'infrastructure, frappent le plus durement les nations en d¨¦veloppement pauvres et bouleverseront la vie des populations les plus pauvres au monde au cours des prochaines d¨¦cennies.

L'agence de presse officielle chinoise, Xinhau, a signal¨¦ des temp¨¦ratures ¨¦lev¨¦es extr¨ºmes ¨¤ Chongqing en septembre 2009, ainsi qu'une p¨¦nurie d'eau dont ont souffert des centaines de milliers de personnes. Sans les ressources pour ? s'adapter ? comme la climatisation, les ouvriers qui travaillent sur les chantiers pour des salaires de mis¨¨re et vivent dans des habitations o¨´ la chaleur est insoutenable, sont expos¨¦s ¨¤ des maladies caus¨¦es par la chaleur et la pollution. Dans les r¨¦gions rurales voisines, le b¨¦tail et les cultures souffrent, incitant les fermiers ¨¤ quitter leurs terres.

En 2000 d¨¦j¨¤, l'Organisation mondiale de la sant¨¦ attribuait 2,4%des cas de diarrh¨¦es et 6 % des cas de paludisme aux changements climatiques. Ces changements auront des r¨¦percussions ¨¤ grande ¨¦chelle sur la sant¨¦ humaine et modifieront probablement la port¨¦e g¨¦ographique et la saisonnalit¨¦ de certaines maladies infectieuses, y compris les maladies transmises par vecteurs, comme le paludisme, la fi¨¨vre de dengue et les maladies d'origine alimentaire, comme la salmonelle, qui s¨¦vissent pendant les mois plus chauds. Nous consid¨¦rons ¨¦galement comme ? victimes des ¨¦v¨¦nements climatiques extr¨ºmes ? les 27000 d¨¦c¨¨s li¨¦s aux temp¨¦ratures anormalement ¨¦lev¨¦es en Europe au cours de l'¨¦t¨¦ de 2003.

Les cons¨¦quences futures sur la sant¨¦ publique sont encore plus manifestes. On suit de pr¨¨s l'¨¦l¨¦vation du niveau de la mer et les r¨¦gions qui risquent d'¨ºtre inond¨¦es - une situation qui pourrait entra¨ªner une migration massive. Mais qu'en est-il des d¨¦g?ts importants caus¨¦s ¨¤ la production alimentaire par les modifications des configurations de pr¨¦cipitation, notamment des p¨¦riodes de s¨¦cheresse plus longues et des inondations plus importantes, ainsi que des pertes ¨¦conomiques et la p¨¦nurie alimentaire qui contraignent les populations ¨¤ ¨¦migrer et exacerbent les troubles civils ?

Le ? Rapport sur le d¨¦veloppement dans le monde 2010 : d¨¦veloppement et changement climatique ?, publi¨¦ pr¨¦alablement ¨¤ la Conf¨¦rence sur les changements climatiques qui aura lieu ¨¤ Copenhague en d¨¦cembre 2009, explique en s'appuyant sur des preuves que le r¨¦chauffement de la plan¨¨te de 2 °C au-dessus des temp¨¦ratures de la p¨¦riode pr¨¦industrielle pourrait, par exemple, r¨¦duire de 4 ¨¤ 5 % la consommation annuelle par habitant en Afrique, qui est d¨¦j¨¤ le continent le plus vuln¨¦rable.

La variabilit¨¦ du climat est une caract¨¦ristique de l'histoire de l'Afrique, mais la fr¨¦quence et la gravit¨¦ des inondations et des s¨¦cheresses ont consid¨¦rablement augment¨¦ au cours des derni¨¨res ann¨¦es, et les projections climatiques indiquent que cette tendance s'intensifiera. Cela aura probablement des cons¨¦quences d¨¦vastatrice pour l'agriculture pluviale qui emploie environ 70% de la population africaine, indique le rapport.

Un pr¨¦c¨¦dent rapport de la Banque mondiale note que ?les communaut¨¦s pauvres [dans le monde] seront les plus vuln¨¦rables du fait de leurs capacit¨¦s d'adaptation limit¨¦es et de leur grande d¨¦pendance vis-¨¤-vis des ressources ¨¤ forte sensibilit¨¦ climatique, telles que les ressources en eau et les syst¨¨mes de production agricoles?. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'¨¦volution du climat a estim¨¦ que, vers 2020, entre 75 et 250 millions de personnes seront expos¨¦es ¨¤ un stress hydrique accru en raison de changements climatiques dans les pays pauvres qui doivent d¨¦j¨¤ relever de multiples d¨¦fis sanitaires.

En m¨ºme temps, le monde fait face ¨¤ une crise alimentaire qui a des causes multiples, comme la variabilit¨¦ du climat et les distorsions des march¨¦s. Au d¨¦but de 2008, les prix internationaux de tous les produits alimentaires de base ont atteint leurs niveaux les plus ¨¦lev¨¦s depuis presque 50 ans, faisant franchir la barre du milliard de victimes de la faim. Depuis, selon les Nations Unies, la crise financi¨¨re mondiale menace de faire plonger 55 ¨¤ 90 millions de personnes suppl¨¦mentaires dans la pauvret¨¦ cette ann¨¦e seulement.

Du point de vue de la sant¨¦ mondiale, la diversit¨¦ croissante et l'ampleur des crises li¨¦es ¨¤ la sant¨¦ dans le monde convergent pour cr¨¦er une ?temp¨ºte parfaite? qui pourrait ¨ºtre catastrophique. NOUS POUVONS FAIRE MIEUX

Nous pouvons faire mieux. Jamais le monde n'a eu autant de connaissances, de comp¨¦tences ¨¤ sa disposition et de ressources investies pour assurer la sant¨¦ des populations. L'aide au d¨¦veloppement consacr¨¦e ¨¤ la sant¨¦ est pass¨¦ de 5,6 milliards de dollars en 1990 ¨¤ 21,8 milliards en 2007 , accompagn¨¦e de nouvelles initiatives mondiales pour mobiliser et acheminer les fonds.

Pourtant, l'¨¦cart entre les promesses extraordinaires de la m¨¦decine et la r¨¦alit¨¦ du fardeau des maladies se creuse. Un tiers de la population mondiale est infect¨¦e par le bacille de la tuberculose et 350 ¨¤ 500 millions de personnes souffrent de paludisme; et dans un monde qui compte 33 millions de s¨¦ropositifs, pour chaque personne qui a acc¨¨s aux m¨¦dicaments n¨¦cessaires, deux nouveaux cas d'infection surviennent. Ces trois maladies tuent ¨¤ elles seules six millions de personnes par an, avant m¨ºme de prendre en compte les facteurs aggravants comme les enfants non vaccin¨¦s, le d¨¦c¨¨s des m¨¨res durant l'accouchement ou l'exposition des travailleurs ¨¤ la pollution industrielle.

Le probl¨¨me vient en partie du fait qu'il y a plus de probl¨¨mes que de solutions. Vu les probl¨¨mes sanitaires qui surviennent sur de nombreux fronts, nombre de programmes ne parviennent pas ¨¤ r¨¦pondre aux besoins de sant¨¦.

La nature interd¨¦pendante des menaces sanitaires est une question tout aussi difficile et complexe. Si le changement climatique diminue la productivit¨¦ agricole, par exemple, les ¨¦conomies de survie se d¨¦velopperont : les hommes seront probablement plus nombreux que les femmes ¨¤ ¨¦migrer vers les villes et laisseront femme et enfants dans des villages tr¨¨s pauvres, transformant radicalement les structures sociales. Les risques d'infection au vih/sida augmentent en raison des conditions de vie changeantes et des industries du sexe qui exploitent la pauvret¨¦. Si des collectivit¨¦s enti¨¨res sont forc¨¦es de quitter leurs r¨¦gions ¨¤ cause des inondations ou de la s¨¦cheresse, cela engendrera de nombreux risques sanitaires li¨¦s ¨¤ la surpopulation et ¨¤ l'insuffisance des infrastructures, des services et des produits alimentaires.

Les institutions internationales reconnaissent que ces d¨¦fis sont interd¨¦pendants, pourtant l'effort mondial de sant¨¦ publique est davantage centr¨¦ sur le ? traitement et la gu¨¦rison ? de maladies sp¨¦cifiques que sur les nombreux facteurs ¨¤ risque. Il s'ensuit une concurrence en mati¨¨re de ressources dans la gestion des crises sanitaires, alors que les progr¨¨s d¨¦pendent r¨¦ellement de la mani¨¨re dont on appr¨¦hende l'interd¨¦pendance des crises. Une premi¨¨re mesure essentielle est d'¨¦tablir une cartographie des r¨¦gions en situation de vuln¨¦rabilit¨¦ afin de d¨¦terminer, au niveau local, quelles sont les menaces sanitaires auxquelles les populations font face. Et, comme les menaces sanitaires sont globales, il est important d'¨¦tablir des passerelles entre les institutions et les acteurs cl¨¦s afin de maximiser les ressources. La r¨¦ponse n'est certainement pas d'argumenter sur l'allocation des ressources ou de transf¨¦rer les fonds d'un probl¨¨me ¨¤ un autre, mais de rechercher des synergies qui permettent de g¨¦rer plusieurs crises ¨¤ la fois.

Une approche fond¨¦e sur les droits de l'homme - exprim¨¦e en termes de droit au meilleur ¨¦tat de sant¨¦ possible et de droit aux ¨¦l¨¦ments de base d¨¦terminants comme l'eau douce et la nourriture, l'abri, l'¨¦ducation, les services de sant¨¦ etl'¨¦galit¨¦ - est la plus prometteuse. ? travers cette optique, la situation des individus qui sont le plus expos¨¦s aux risques peut ¨ºtre trait¨¦e de mani¨¨re globale.

Mais au lieu de ? penser mondialement et d'agir localement ?, il serait souhaitable d'inverser l'adage. Pour comprendre la complexit¨¦ du d¨¦fi mondial en mati¨¨re de sant¨¦ et formuler des r¨¦ponses efficaces, nous devons comprendre ce qui se passe sur le terrain et associer la soci¨¦t¨¦ civile. Consid¨¦rez le mouvement du microcr¨¦dit mondial qui compte aujourd'hui plus de 600 millions de clients. Quand le professeur Muhammad Yunus s'est servi de son argent personnel pour financer le premier groupe de femmes pauvres sp¨¦cialistes dans le tressage de paniers au Bangladesh dans les ann¨¦es 1980, il a contribu¨¦ ¨¤ r¨¦duire les in¨¦galit¨¦s entre les sexes et la pauvret¨¦ et ¨¤ promouvoir la sant¨¦.

En ? pensant localement et en agissant mondialement ?, l'exp¨¦rience de centaines de millions de personnes comme M. Tang peut influencer les r¨¦ponses ¨¤ apporter au niveau mondialAvec d'autres articles de Louise Williams, qui a interview¨¦ des travailleurs migrants ¨¤ Chongqing, y compris M. Tang, durant son voyage d'¨¦tude ¨¤ l'ouest de la Chine en 2008.

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