En tant que Repr¨¦sentante sp¨¦ciale du Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral des Nations Unies pour l¡¯¨¦nergie durable pour tous, Damilola Ogunbiyi a ¨¤ c?ur de mettre fin ¨¤ la pauvret¨¦ ¨¦nerg¨¦tique. Forte de son exp¨¦rience ¨¤ la t¨ºte de l¡¯agence d¡¯¨¦lectrification rurale du Nig¨¦ria, elle sait pertinemment que tant que les populations ne disposeront pas d¡¯une ¨¦nergie ad¨¦quate et propre, le monde ne pourra pas concr¨¦tiser ses ambitions en mati¨¨re de climat ou de d¨¦veloppement durable, et des vies et des moyens de subsistance seront perdus. Pour progresser, il faut un engagement collectif, ainsi que des plans, des outils et des financements bien d¨¦finis. Le prochain dialogue ¨¤ haut niveau sur l¡¯¨¦nergie constitue une occasion de mobiliser des moyens d¡¯action.
Qu¡¯est-ce que la pauvret¨¦ ¨¦nerg¨¦tique ?
La pauvret¨¦ ¨¦nerg¨¦tique est le fait de ne pas disposer d¡¯¨¦nergie en quantit¨¦ suffisante pour pouvoir am¨¦liorer sa vie, ou le fait de ne pas du tout disposer d¡¯¨¦nergie. Pr¨¨s de 800 millions de personnes dans le monde n¡¯ont pas acc¨¨s ¨¤ l¡¯¨¦lectricit¨¦ et environ 2,6 milliards, soit un tiers de la population mondiale, n¡¯ont pas acc¨¨s ¨¤ des combustibles non polluants pour la cuisine. En ces temps marqu¨¦s par la COVID-19, ces personnes ne peuvent pas simplement rester chez elles. Elles n¡¯ont aucun moyen de survie si elles ne disposent pas de suffisamment d¡¯¨¦nergie pour vivre confortablement dans leurs foyers et prosp¨¦rer dans leurs entreprises.
Nous devons faire en sorte que tout le monde soit ¨¤ l¡¯abri de la pauvret¨¦ ¨¦nerg¨¦tique, conform¨¦ment ¨¤ l¡¯objectif de d¨¦veloppement durable (ODD) 7 relatif ¨¤ l¡¯acc¨¨s ¨¤ une ¨¦nergie propre et durable ¨¤ un co?t abordable. Or, en raison de la COVID-19, 150 millions de personnes sont retomb¨¦es dans une situation d¡¯extr¨ºme pauvret¨¦, o¨´ elles sont plus susceptibles de ne pas disposer d¡¯¨¦nergie. Ou bien certaines personnes, qui disposaient d¡¯une quantit¨¦ minimale, n¡¯en ont ¨¤ pr¨¦sent plus du tout. En Afrique, seuls 24 ¨¤ 25 % des ¨¦tablissements de soins de sant¨¦ primaires ont acc¨¨s ¨¤ l¡¯¨¦lectricit¨¦, ce qui repr¨¦sente un probl¨¨me majeur pour la distribution des vaccins.
En septembre, l¡¯Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale organise un dialogue ¨¤ haut niveau sur l¡¯¨¦nergie pour la premi¨¨re fois en 40 ans. Ce dialogue vise ¨¤ faire ¨¦tat de l¡¯importance de l¡¯¨¦nergie pour le climat et pour le d¨¦veloppement durable. Nous sommes ¨¤ la recherche d¡¯innovations et d¡¯id¨¦es, car nous ne sommes pas sur la bonne voie pour mettre les populations ¨¤ l¡¯abri de la pauvret¨¦ ¨¦nerg¨¦tique.
Quel est le lien avec l¡¯action pour le climat ?
Si nous ne r¨¦alisons pas l¡¯ODD 7 d¡¯ici ¨¤ 2030, nous ne pourrons pas r¨¦duire ¨¤ z¨¦ro les ¨¦missions nettes de gaz ¨¤ effet de serre d¡¯ici ¨¤ 2050. Ce sera scientifiquement et math¨¦matiquement impossible. Compte tenu de la tendance actuelle, d¡¯ici ¨¤ 2030, 650 millions de personnes n¡¯auront toujours pas acc¨¨s ¨¤ l¡¯¨¦lectricit¨¦. S¡¯agissant des pourparlers sur le climat pr¨¦vus ¨¤ Glasgow ¨¤ la fin de l¡¯ann¨¦e et des contributions d¨¦termin¨¦es au niveau national (CDN) au titre de l¡¯Accord de Paris, l¡¯¨¦nergie doit y occuper une place centrale.
L¡¯Afrique compte un milliard d¡¯habitants. Si l¡¯on exclut l¡¯Afrique du Sud, les populations d¡¯Afrique subsaharienne sont ¨¤ l¡¯origine d¡¯environ 0,55 % des ¨¦missions mondiales. Leur transition ¨¦nerg¨¦tique et leur croissance ¨¦conomique doivent se faire de mani¨¨re ¨¤ r¨¦duire les ¨¦missions de carbone, mais nous devons aussi indiquer pr¨¦cis¨¦ment quels sont les plans en mati¨¨re de transition ¨¦nerg¨¦tique. Pour commencer, l¡¯¨¦nergie dont elles disposent est insuffisante. Un milliard de personnes en Afrique se partagent une capacit¨¦ de production d¡¯¨¦lectricit¨¦ de 81 gigawatts, soit l¡¯¨¦quivalent de ce que l¡¯Allemagne produit chaque jour.
Des efforts doivent ¨ºtre d¨¦ploy¨¦s ¨¤ l¡¯¨¦chelle mondiale en vue de comprendre les besoins des pays tr¨¨s pauvres et vuln¨¦rables et de d¨¦terminer les moyens d¡¯y r¨¦pondre. En effet, il n¡¯est pas souhaitable d¡¯avoir ¨¤ revenir dans une dizaine ou une vingtaine d¡¯ann¨¦es pour assurer ¨¤ nouveau la transition de leurs syst¨¨mes ¨¦nerg¨¦tiques. Cela prend d¨¦j¨¤ des dizaines d¡¯ann¨¦es dans les pays du Nord. En revanche, nous pouvons presque partir de rien dans de nombreux pays en d¨¦veloppement. Nous savons que l¡¯¨¦nergie propre est la meilleure solution du point de vue du produit int¨¦rieur brut (PIB). Nous savons qu¡¯elle permet de cr¨¦er plus d¡¯emplois que les combustibles fossiles habituels. ? l¡¯aide des bons outils, les pays en d¨¦veloppement pourront montrer ce qu¡¯il est possible de faire en se fixant un objectif vraiment clair li¨¦ ¨¤ l¡¯¨¦nergie dans le cadre de la lutte contre les changements climatiques, contrairement ¨¤ ce qui se passe actuellement, ¨¤ savoir que bon nombre de ces pays sont essentiellement victimes des changements climatiques.
Dans la mesure o¨´ vous avez travaill¨¦ sur l¡¯¨¦lectrification rurale au Nig¨¦ria, pouvez-vous pr¨¦ciser quelques priorit¨¦s pour la fourniture de services ¨¦nerg¨¦tiques en milieu rural ?
Il est inacceptable que chaque ann¨¦e dans le monde, 1,6 million de personnes meurent ¨¤ cause des fum¨¦es d¨¦gag¨¦es par la combustion de combustibles tels que le charbon de bois pour la cuisson des aliments. Elles ont besoin de fourneaux ¨¦cologiques et d¡¯¨¦lectricit¨¦ ou de solutions ¨¦nerg¨¦tiques moins polluantes pour survivre. Cela doit constituer une priorit¨¦, car le manque d¡¯¨¦nergie propre non seulement nuit ¨¤ l¡¯environnement, mais provoque ¨¦galement la mort de femmes et d¡¯enfants. De nombreuses personnes pensent que dans les pays en d¨¦veloppement, le plus gros pollueur est l¡¯industrie. En r¨¦alit¨¦, ce n¡¯est pas le cas. L¡¯utilisation des terres, l¡¯abattage des arbres et la combustion du charbon de bois sont les plus importants.
Il est essentiel de se rendre aupr¨¨s des populations locales, afin de cerner les quantit¨¦s d¡¯¨¦nergie dont elles ont besoin pour prosp¨¦rer. Pour de nombreuses femmes des zones rurales du Nig¨¦ria, leur maison est aussi leur entreprise. Il ne suffit donc pas de leur remettre une lanterne solaire et de cocher une case. Il convient de savoir ce qu¡¯elles font. Ont-elles besoin de s¨¦choirs pour les ignames ou les cassaves ? En Afrique, une femme qui a acc¨¨s ¨¤ une ¨¦nergie propre et durable est susceptible de gagner 59 % de plus qu¡¯auparavant, ce qui repr¨¦sente un bond consid¨¦rable. Ce que nous voulons, c¡¯est les amener ¨¤ l¡¯autosuffisance gr?ce ¨¤ une ¨¦nergie ad¨¦quate et durable, de fa?on ¨¤ ¨¦viter ce cycle d¡¯aide perp¨¦tuel, qui ne saurait fonctionner.
D¡¯o¨´ proviendra le financement de l¡¯¨¦nergie propre ?
Tous les pays doivent s¡¯unir pour r¨¦soudre cette question. Pour ce qui est des investissements dans les syst¨¨mes ¨¦nerg¨¦tiques des pays en d¨¦veloppement, nous avons besoin d¡¯environ 40 milliards de dollars par an d¡¯ici ¨¤ 2030, mais l¡¯Afrique en re?oit ¨¤ peine 4 milliards et l¡¯Asie environ 10 milliards. Voil¨¤ qui montre l¡¯ampleur du probl¨¨me.
Si nous consacrons de l¡¯argent au d¨¦veloppement durable et ¨¤ la relance cons¨¦cutive ¨¤ la crise li¨¦e ¨¤ la COVID-19, o¨´ se trouve la composante ¨¦nerg¨¦tique ? C¡¯est le moyen le plus rapide de stimuler la croissance ¨¦conomique. D¡¯aucuns diront qu¡¯ils ne se soucient pas du climat, mais l¡¯¨¦conomie de l¡¯¨¦nergie fonctionne et c¡¯est le langage que nous utilisons lorsque nous nous adressons aux gouvernements, car ils se pr¨¦occupent souvent de l¡¯emploi et du PIB avant toute ¨¦vocation du climat. Peu importe la formulation, tant que l¡¯on d¨¦fend la cause des populations et de la plan¨¨te.
Qu¡¯attendez-vous du dialogue ¨¤ haut niveau sur l¡¯¨¦nergie ?
Il s¡¯agit de placer la question ¨¦nerg¨¦tique sur une plateforme diff¨¦rente par rapport ¨¤ ce qui se faisait auparavant. Ce que nous visons, ce sont les pactes ¨¦nerg¨¦tiques. Contrairement ¨¤ bon nombre de d¨¦clarations et de pactes ant¨¦rieurs, ceux-ci sont ax¨¦s exclusivement sur l¡¯¨¦nergie et align¨¦s sur l¡¯objectif de z¨¦ro ¨¦mission nette, sur l¡¯Accord de Paris et sur les CDN. Ils portent les CDN ¨¤ un autre niveau. Si un pays annonce qu¡¯il abandonne le charbon, cette d¨¦claration figurera dans sa CDN. Ce que nous souhaitons voir figurer dans les pactes, ce sont les modalit¨¦s pr¨¦cises de leur mise en ?uvre et de leur suivi, chaque ann¨¦e.
Cela concerne tous les pays, y compris les pays d¨¦sireux d¡¯apporter leur aide ¨¤ d¡¯autres pays. Le Royaume-Uni pourrait d¨¦cider de conclure un pacte pour fournir de l¡¯¨¦lectricit¨¦ ¨¤ 10 millions d¡¯Asiatiques. Comment compterait-il s¡¯y prendre ? C¡¯est un moyen de montrer que des actions concr¨¨tes sont entreprises. Il peut s¡¯agir de fournir de l¡¯¨¦lectricit¨¦ ¨¤ un plus grand nombre de personnes, d¡¯am¨¦liorer l¡¯efficacit¨¦ ¨¦nerg¨¦tique ou d¡¯abandonner le charbon. Il existe de nombreuses fa?ons d¡¯aller de l¡¯avant, mais ces efforts doivent ¨ºtre d¨¦ploy¨¦s ¨¤ l¡¯¨¦chelle mondiale, car nous ne sommes pas sur la bonne voie alors qu¡¯il reste ¨¤ peine 10 ans pour r¨¦aliser les ODD. Nous avons besoin d¡¯accords stricts qui obligent les pouvoirs publics ¨¤ rendre des comptes. Le secteur priv¨¦ peut ¨¦galement souscrire aux pactes, tout comme la soci¨¦t¨¦ civile et les grandes initiatives. Il s¡¯agit de susciter l¡¯ambition et de montrer ¨¤ chacun que, sur le plan collectif, cela repr¨¦sente une occasion majeure.
Quel r?le le secteur priv¨¦ joue-t-il ?
Les pouvoirs publics ne devraient pas s¡¯occuper de tout. Il conviendrait que le secteur priv¨¦ mette en ?uvre des projets, que ce soit dans le domaine des ¨¦nergies renouvelables ¨¤ grande ¨¦chelle destin¨¦es ¨¤ ¨ºtre int¨¦gr¨¦es au r¨¦seau ou dans celui des solutions ¨¦nerg¨¦tiques d¨¦centralis¨¦es. Les pouvoirs publics devraient se concentrer sur la cr¨¦ation d¡¯un environnement propice ¨¤ l¡¯¨¦panouissement du secteur priv¨¦. En d¡¯autres termes, ils devraient mettre en place les politiques, les r¨¦glementations et les subventions n¨¦cessaires, et ¨ºtre en mesure d¡¯attirer les acteurs concern¨¦s du secteur priv¨¦. Cela d¨¦pend en partie de la possibilit¨¦ de disposer de suffisamment de donn¨¦es pour le pays consid¨¦r¨¦. Cela peut sembler tr¨¨s ¨¦l¨¦mentaire, mais il arrive que certains pays ne soient pas en mesure d¡¯indiquer o¨´ se trouve leur population d¨¦pourvue d¡¯¨¦lectricit¨¦. Ce type d¡¯informations d¨¦taill¨¦es est essentiel pour d¨¦terminer le moyen le plus rentable de fournir de l¡¯¨¦nergie propre ¨¤ sa collectivit¨¦ ou ¨¤ son pays.
En Afrique, il a ¨¦t¨¦ fantastique de constater que nous sommes pass¨¦s de cinq promoteurs de projets de d¨¦veloppement ¨¦nerg¨¦tique sur le continent ¨¤ une centaine, et que la plupart d¡¯entre eux sont africains. Il convient d¡¯envisager de renforcer les capacit¨¦s locales et de pr¨ºter des capacit¨¦s si n¨¦cessaire, mais il faut avant tout cr¨¦er un march¨¦. Sans cela, les acteurs du secteur priv¨¦ ne seront pas int¨¦ress¨¦s, et on ne peut pas leur en vouloir.
Quel est le r?le des subventions pour l¡¯¨¦nergie ?
Tout d¨¦pend du pays. Dans un pays comme le mien, ¨¤ savoir le Nig¨¦ria, les subventions devraient ¨ºtre ax¨¦es sur les syst¨¨mes ¨¦nerg¨¦tiques d¨¦centralis¨¦s. Si l¡¯on proc¨¨de au raccordement d¡¯un client au moyen d¡¯une solution solaire hybride ou d¡¯une solution solaire autonome, on obtient la subvention, mais uniquement lorsque le raccordement est effectif. Dans les grandes ¨¦conomies o¨´ l¡¯on essaie de s¡¯orienter vers une technologie comme l¡¯hydrog¨¨ne vert, une subvention li¨¦e ¨¤ la technologie peut ¨ºtre pr¨¦vue. Les subventions doivent donc avoir leur place, mais la mani¨¨re de les utiliser d¨¦pend de la g¨¦ographie, des politiques du pays, etc. En l¡¯absence totale de subventions pour l¡¯¨¦nergie, un milliard de personnes souffriront r¨¦ellement de cette d¨¦cision. Ce qui importe, c¡¯est la mani¨¨re de mettre en ?uvre ces subventions et de s¡¯assurer qu¡¯elles sont li¨¦es ¨¤ l¡¯Accord de Paris et assorties d¡¯une date de fin.
Quelle est selon vous la d¨¦finition d¡¯une transition juste ?
Une transition juste est une p¨¦riode au cours de laquelle des personnes passent d¡¯un combustible polluant ¨¤ un combustible non polluant, sachant qu¡¯une transition juste en Afrique peut ¨ºtre tout ¨¤ fait diff¨¦rente de celle qui s¡¯op¨¨re dans les pays riches. En Afrique, il n¡¯y a pas assez d¡¯¨¦nergie et on d¨¦carbonise 0,55 % (des ¨¦missions). Que d¨¦carbonise-t-on r¨¦ellement ? Qu¡¯est-ce que cela signifie pour un pays subsaharien moyen ? Imaginons que dans la ville de Lagos, j¡¯aie une tante qui prend un bus tr¨¨s polluant pendant trois heures tous les jours pour se rendre ¨¤ son travail. Elle a mis de c?t¨¦ tout son argent pour acheter une petite voiture qui fonctionne ¨¤ l¡¯essence. Et voil¨¤ qu¡¯aujourd¡¯hui, nous disons aux pays africains de ne pas acheter ce type de v¨¦hicule, mais qu¡¯il faut acheter une Tesla, m¨ºme si nous ne savons pas comment ils vont la financer.
Dans cette situation, le probl¨¨me est le suivant : quelle est l¡¯offre en mati¨¨re d¡¯¨¦nergie propre ? C¡¯est cette question que nous devons vraiment nous employer ¨¤ r¨¦soudre pour qu¡¯une transition ¨¦nerg¨¦tique juste puisse s¡¯effectuer plus rapidement et pour remporter l¡¯adh¨¦sion de la population. ? l¡¯heure actuelle, dans de nombreux endroits, des personnes ne peuvent toujours pas entrevoir les perspectives au-del¨¤ du p¨¦trole et du gaz. Cela concerne non seulement le secteur de l¡¯¨¦lectricit¨¦, mais aussi les transports et les moyens de gagner de l¡¯argent. De nombreux pays se maintiennent ¨¤ flot gr?ce aux revenus des combustibles fossiles. Quelles sont les autres solutions ? Dans quelle mesure peuvent-ils encore atteindre leurs objectifs en mati¨¨re de croissance ¨¦conomique ? Dans quelle mesure peuvent-ils veiller ¨¤ la bonne sant¨¦ de leur population gr?ce ¨¤ des syst¨¨mes ¨¦nerg¨¦tiques appropri¨¦s ?
Selon moi, une transition juste consiste ¨¤ discuter avec les gouvernements pour comprendre leur probl¨¦matique, pour les aider ¨¤ d¨¦terminer une mani¨¨re de s¡¯engager sur la voie de la neutralit¨¦ carbone et pour d¨¦finir, ¨¤ l¡¯aide de donn¨¦es, de calculs et de connaissances scientifiques, la date ultime ¨¤ laquelle ils devront cesser de recourir ¨¤ chacun des combustibles dont ils disposent. Quand pourront-ils passer aux ¨¦nergies renouvelables et de quels types de syst¨¨mes d¡¯appui disposent-ils ?
Qu¡¯en est-il des emplois ?
Les ¨¦nergies renouvelables permettent de g¨¦n¨¦rer 3,5 fois plus d¡¯emplois que les combustibles fossiles. Cependant, il faut cr¨¦er des syst¨¨mes et des projets pour d¨¦velopper ces emplois. Si l¡¯on dit aux habitants d¡¯une localit¨¦ qui d¨¦pend du charbon que le pays tout entier est en train de passer aux ¨¦nergies renouvelables, il faut faire en sorte de les y pr¨¦parer d¨¨s maintenant. On ne va pas mettre un ou deux million(s) de personnes au ch?mage. Il faut tenir compte du droit du travail et passer en revue toute une s¨¦rie de questions diverses dans le cadre de la discussion relative ¨¤ une transition juste.
Les plans de relance cons¨¦cutifs ¨¤ la crise li¨¦e ¨¤ la COVID-19 ont fait l¡¯objet de critiques au motif qu¡¯ils n¡¯insistent pas suffisamment sur l¡¯abandon des combustibles fossiles. S¡¯agit-il d¡¯une occasion manqu¨¦e ?
Il convient de d¨¦cortiquer un peu le terme ? combustibles fossiles ?. Le fait de passer du charbon et du gaz aux ¨¦nergies renouvelables ne revient pas ¨¤ affirmer que tous les combustibles fossiles sont mauvais. Bien plus de moyens auraient pu ¨ºtre consacr¨¦s ¨¤ la lutte contre la pauvret¨¦ ¨¦nerg¨¦tique, ce que j¡¯esp¨¨re vraiment voir se produire. Les ¨¦nergies renouvelables constituent la solution la plus propre, mais je ne pense pas que quiconque doive dicter les prochaines ¨¦tapes. On ne peut pas se contenter de consid¨¦rer que les pays d¨¦velopp¨¦s disposent de tous les moyens financiers tandis que les pays en d¨¦veloppement sont cens¨¦s faire un bond en avant, d¡¯une mani¨¨re ou d¡¯une autre. Cela n¡¯a aucun sens.
Certains ¨¦l¨¦ments indiquent que les femmes prosp¨¨rent dans les secteurs li¨¦s aux ¨¦nergies renouvelables davantage que dans les secteurs traditionnels.
Je ne suis pas tr¨¨s objective, car j¡¯ai form¨¦ 600 jeunes femmes qui font actuellement des choses remarquables dans le domaine des ¨¦nergies renouvelables. L¡¯avantage avec les ¨¦nergies renouvelables, c¡¯est la quantit¨¦ de m¨¦tiers possibles. Il y a donc des techniciennes en ¨¦nergie solaire, des planificatrices et des ing¨¦nieures, la responsable du recouvrement des paiements, la responsable de l¡¯int¨¦gration informatique. Ce n¡¯est pas comme ¨¤ mon ¨¦poque, lorsqu¡¯on poss¨¦dait comme moi une formation d¡¯ing¨¦nieur en syst¨¨mes ¨¦lectriques au sens strict. Dans le domaine des ¨¦nergies renouvelables, quand vous ¨ºtes issue d¡¯une fili¨¨re STIM (sciences, technologie, ing¨¦nierie et math¨¦matiques), vous vous ¨¦panouissez vraiment. Il existe ¨¦galement des politiques ¨¤ mettre en ?uvre. Lorsque j¡¯¨¦tais au Nig¨¦ria, si la proportion de femmes dans une entreprise du secteur de l¡¯¨¦nergie n¡¯¨¦tait pas d¡¯au moins 40 %, cette entreprise ne pouvait pas obtenir de subventions.
Nous devons assurer la formation des jeunes femmes pour les rendre aptes ¨¤ occuper un emploi. Cela ne va pas se produire comme par enchantement pour les femmes ¨C ce n¡¯est pas de cette mani¨¨re que le monde fonctionne. Nous devons remettre en question les normes et cr¨¦er des perspectives. Je ne pense pas que suffisamment de pays se rendent compte du pouvoir dont ils disposent pour faire valoir que les entreprises du secteur des ¨¦nergies renouvelables doivent embaucher des femmes. Il en va de m¨ºme pour les questions de race. Parmi les nombreuses grandes entreprises actives en Afrique, aucune n¡¯a de repr¨¦sentant noir ou africain. Il y a certains points sur lesquels nous devons insister.
Dites-nous-en un peu plus sur les 600 jeunes femmes.
C¡¯¨¦tait formidable. Nous travaillions ¨¤ la construction, pour les universit¨¦s, de syst¨¨mes solaires hybrides, de grands syst¨¨mes d¨¦centralis¨¦s de 10 ¨¤ 15 m¨¦gawatts. Aussi ai-je d¨¦cid¨¦ d¡¯assurer leur formation au cours de leur derni¨¨re ann¨¦e d¡¯universit¨¦. Au pr¨¦alable, nous avons consult¨¦ toutes les entreprises du secteur des ¨¦nergies renouvelables pour savoir quelle formation leur donner, de sorte qu¡¯elles puissent obtenir un emploi par la suite. Bon nombre d¡¯entre elles ont ¨¦t¨¦ embauch¨¦es, certaines ont cr¨¦¨¦ leur propre entreprise et deux ont remport¨¦ des prix.
Cela n¡¯a pris que six mois et n¡¯a pratiquement rien co?t¨¦. Offrir cette occasion ¨¤ des jeunes femmes est la chose la plus gratifiante que j¡¯ai faite dans ma vie. J¡¯ai moi-m¨ºme ¨¦t¨¦ une jeune femme autrefois et si je n¡¯avais pas b¨¦n¨¦fici¨¦ de telles occasions, je ne serais pas en train de vous parler en ce moment. Je pense que parfois, lorsqu¡¯on assume de telles fonctions, on oublie qu¡¯il est important d¡¯inciter les personnes ¨¤ nous suivre, afin qu¡¯elles puissent se faire entendre et avoir voix au chapitre.
Pourquoi la question de l¡¯acc¨¨s ¨¤ l¡¯¨¦nergie vous tient-elle autant ¨¤ c?ur ?
Lorsque j¡¯¨¦tais bien plus jeune, dans ma vingtaine, j¡¯ai eu l¡¯occasion de mettre en place l¡¯alimentation ¨¦lectrique d¡¯une maternit¨¦. Souvent, quand on pense aux probl¨¨mes d¡¯acc¨¨s ¨¤ l¡¯¨¦nergie ou au fait de ne pas en disposer, on per?oit cela comme un d¨¦sagr¨¦ment. Je ne comprenais pas que cela pouvait faire la diff¨¦rence entre la vie et la mort d¡¯un b¨¦b¨¦. Je me rappelle mon entr¨¦e dans la maternit¨¦, avec toutes ces personnes qui applaudissaient. Le m¨¦decin est venu ¨¤ ma rencontre et m¡¯a dit : ? Vous savez, lors d¡¯une op¨¦ration lourde, il suffit de sept secondes pour que survienne la mort d¡¯une femme, de son b¨¦b¨¦ ou des deux ?. Je suis rest¨¦e fig¨¦e. Aucun groupe ¨¦lectrog¨¨ne ne peut ¨ºtre allum¨¦ en sept secondes.
Lorsque nous parlons d¡¯¨¦nergie durable, pour moi, c¡¯est ce qui fait la diff¨¦rence entre la vie et la mort d¡¯une m¨¨re ou d¡¯un b¨¦b¨¦. Lorsque nous organisons ces grands forums, je tiens toujours ¨¤ recentrer la discussion au niveau des populations locales, car les d¨¦cisions que nous prenons ont toujours une incidence sur les personnes les plus vuln¨¦rables. Elles n¡¯ont pas d¡¯incidence sur vous et moi. C¡¯est ce qui me permet d¡¯avancer. Si tel ou tel travail vous permet de sauver la vie de quelqu¡¯un, c¡¯est le meilleur travail que vous puissiez faire.
Chaque fois que nous tardons ¨¤ prendre une d¨¦cision ou que nous tergiversons pour trouver la solution parfaite, qui n¡¯existe pas, des personnes souffrent et meurent. Telle est la r¨¦alit¨¦. Nous devons donc travailler plus dur et plus vite. Nous avons les solutions pour faire en sorte que chacun dispose d¡¯une ¨¦nergie ad¨¦quate et propre. Il nous faut simplement les mettre en ?uvre d¨¨s maintenant.